Une SARL engagée par les actes d’un salarié sur le fondement du mandat apparent

[Résumé]

Dans un arrêt en date du 9 mars 2022, la Chambre commerciale admet qu’une SARL puisse être engagée par les actes d’un salarié, en se fondant sur l’existence d’un mandat apparent. La Haute juridiction rappelle par ailleurs les éléments permettant de retenir un tel mandat.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 mars 2022, 19-25.704, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

Une société de promotion a signé une promesse unilatérale de vente portant sur plusieurs parcelles de terrain en vue de la construction de logements, opération à l’occasion de laquelle une société à responsabilité limitée est intervenue en qualité d’apporteur d’affaires. Un riverain ayant menacé de déposer un recours contre le permis de construire qui avait été accordé, la société de promotion a signé avec lui un protocole d’accord prévoyant le versement d’une indemnité transactionnelle de 60 000 euros. Prétendant que la société apporteuse d’affaire s’était engagée à prendre en charge la moitié de cette somme, la société de promotion l’a assignée en paiement.

Les juges du fond accédèrent à cette demande, suscitant la formation d’un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction rejette le pourvoi en ces termes :

« 3. D’une part, le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu’une telle société puisse être engagée sur le fondement d’un mandat apparent. Le grief de la première branche, qui postule le contraire, manque en droit.

 D’autre part, il résulte des articles 1985 et 1998 du Code civil qu’une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.

 L’arrêt constate que, s’agissant de la rémunération de la société Cofimo, la société Oceanis promotion avait pour seul interlocuteur M. P., salarié de cette petite société, que ce dernier a déclaré, dans trois courriels adressés à la société Océanis promotion, qu’il intervenait pour le compte de la société Cofimo, en employant le terme « nous » pour la désigner et en terminant ses messages par les mots « Pour Cofimo », et que la société Océanis promotion envoyait ses propres courriels à l’adresse mail de la société Cofimo et non à l’adresse mail personnelle de M. P. Il en déduit que la société Océanis promotion a pu légitimement croire que M. P., qui a confirmé par écrit l’engagement de la société Cofimo concernant la rétrocession d’honoraires, avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d’apporteur d’affaires de cette société. En l’état de ces constatations et appréciations, caractérisant les circonstances autorisant la société Océanis promotion à ne pas vérifier les pouvoirs de M. P., la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »

[L’avis du Cabinet]

En principe, une société est engagée par les actes passés en son nom et pour son compte par le représentant légal, le dirigeant. Dans le cas d’une SARL, c’est donc le gérant qui dispose en principe du pouvoir d’engager la personne morale. La sécurité juridique est assurée à ce titre par une information légale réalisée par le truchement d’une publicité, qui permet de connaître l’identité du dirigeant social.

Or en l’espèce la question se posait de savoir dans quelle mesure une SARL pouvait être engagée par l’un de ses salariés. En l’occurrence le salarié de la SARL était le seul interlocuteur des parties. À la faveur de courriels, il s’était par ailleurs présenté comme intervenant pour la SARL, et il recourait en ce sens fréquemment au pronom « nous » dans ses échanges, échanges qui provenait de l’adresse de la SARL en question et non d’une adresse personnelle.

L’ensemble de ces éléments permet à la Haute juridiction d’admettre que le salarié ait engagé la société sur le fondement du mandat apparent. Elle rappelle par ailleurs les conditions pour caractériser l’existence d’un tel mandat. Il faut démontrer la croyance légitime du tiers dans les pouvoirs du mandataire apparent, les circonstances autorisant le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs.  En l’espèce, tel était bien le cas.

La Haute juridiction précise que « le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu’une telle société puisse être engagée sur le fondement d’un mandat apparent ».

Cela étant, elle rappelle que’ « il résulte des articles 1985 et 1998 du Code civil qu’une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ».

Les entrepreneurs sont donc appelés à la précaution. Le monopole de la représentation légale par le gérant de SARL n’exclut pas l’engagement de la société sur le fondement d’un mandat apparent.

La mise à pied conservatoire : la procédure disciplinaire doit être engagée dans de brefs délais

[Résumé]

Dans une décision du 14-04-2021, la Cour de cassation souligne l’importance pour l’employeur confronté à une faute d’un salarié d’agir dans les plus brefs délais dès lors que sa mise à pied conservatoire lui est signifiée.

(Cour de cassation, Chambre sociale, 14 avril 2021, n°20-12.920)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un employeur signifie oralement à son salarié, le 8 septembre 2015, qu’il fait l’objet d’une mise à pied conservatoire. Par courrier du 15 septembre 2015, le salarié est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, soit sept jours après ladite mise à pied conservatoire. Par courrier RAR du 29 septembre 2015, l’employeur licencie le salarié pour faute grave.

C’est dans ces conditions que le salarié saisit la juridiction prud’hommale pour demander la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le conseil des prud’hommes de Verdun déboute le salarié de ses demandes.

Le salarié interjette appel de la décision et porte l’affaire devant la Cour d’appel de Nancy qui confirme la décision de de 1e instance, au motif que la mise à pied est conservatoire et non disciplinaire.

Le salarié forme un pourvoi en cassation aux motifs que nul ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits, et que la mise à pied conservatoire, d’une durée de sept jours, doit être requalifiée de disciplinaire étant donnée l’absence de motif justifiant un tel délai.

Par un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 1331-1 du Code du travail, en ces termes : « En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la procédure de licenciement avait été engagée sept jours après la notification de la mise à pied et qu’elle n’avait retenu aucun motif de nature à justifier ce délai, en sorte que cette mesure présentait le caractère d’une sanction disciplinaire et que l’employeur ne pouvait ensuite décider à raison des mêmes faits le licenciement de l’intéressé, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

[L’avis du Cabinet]

A notre connaissance, cette décision n’est pas nouvelle (voir Cour de cassation, Chambre sociale, 30 octobre 2013, 12-22.962, Publié au bulletin). Cependant, elle permet de rappeler que l’employeur qui prend la décision d’un mise à pied conservatoire doit engager la procédure disciplinaire dans les plus brefs délais. Au delà de 48 à 72 heures, l’employeur devra justifier de ce délai par des circonstances exceptionnelles, telles que la nécessité d’un dépôt de plainte voire d’une enquête interne complexe.

A défaut, le principe « non bis in idem » fera échec au caractère réel et sérieux de la sanction tardive.

Révocation du dirigeant entrainant la mise en œuvre d’une clause de sortie

[Résumé]

Dans une décision du 22-09-2021, la Cour de cassation valide une clause de sortie insérée dans un pacte extrastatutaire au terme de laquelle le dirigeant s’engage à céder l’intégralité de ses participations à l’associé majoritaire s’il venait à être révoqué. Cette condition ne saurait être potestative dans la mesure où la révocation intervient pour juste motifs, contrôlables judiciairement.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 22 septembre 2021, 19-23.958, Inédit )

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une société et une personne physique toutes deux associées de la même société ont conclu un pacte d’actionnaire prévoyant, notamment, les conditions dans lesquelles Mme [U], s’obligeait à céder la totalité de ses actions et valeurs mobilières dans le capital de la société Enthalpia dont elle était la présidente. Trois ans plus tard, par une délibération du 2 décembre 2009, l’assemblée générale des actionnaires de la société a mis fin au mandat de Mme [U].

Estimant que la promesse de cession de ses actions était affectée d’une condition potestative, cette dernière a demandé l’annulation du pacte d’actionnaire minoritaire conclus ainsi que le paiement de dommages-intérêts.

Par un arrêt du 22-09-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé en ces termes :

« 5. Aux termes de l’article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher.

6. Ne revêt pas un caractère potestatif une condition dont la réalisation dépend, non de la seule volonté du créancier de l’obligation, mais de circonstances objectives susceptibles d’être contrôlées judiciairement.

7. Il résulte des constatations de la cour d’appel qu’aux termes de l’article 5, paragraphe 1er, du pacte minoritaire, Mme [U] s’engageait à vendre ses titres en cas de révocation pour juste motif. Il s’ensuit que n’étant pas au seul pouvoir de la société Hominis, la condition litigieuse tenant à la révocation de Mme [U], ne pouvait entraîner la nullité de l’obligation».

[L’avis du Cabinet]

Les clauses de sortie imposant au dirigeant également associé de céder ses titres en cas de révocation de ses fonctions de dirigeant sont fréquemment utilisées et peuvent être sujettes à contentieux comme en témoigne le présent arrêt de la Cour de cassation.

En l’occurrence la Haute juridiction passe au filtre de la potestativité la clause de sortie. Aux termes de l’ancien article 1170 du code civil, la condition était potestative lorsque sa réalisation dépendait de la volonté de l’une ou l’autre des parties.

La clause du pacte extrastatutaire faisait dépendre de la révocation du dirigeant la mise en œuvre du mécanisme de rachat. Or le dirigeant soutenait que la condition était potestative dès lors que l’exécution de la promesse de vente qu’il avait consentie dépendait de l’exercice du pouvoir dont disposait l’associé majoritaire de le révoquer pour « justes motifs ». Pour la Haute juridiction tel n’est pas le cas puisque la condition tenant dans la révocation relevait « de circonstances objectives susceptibles d’être contrôlées judiciairement ». Une lecture a contrario laisse entendre que la solution aurait pu être différente si la révocation avait été discrétionnaire.

Rendu sous l’empire du droit applicable avant la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, la solution devrait pouvoir se maintenir pour les promesses conclues postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme. L’article 1324-1 du code civil énonce désormais que « : Est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur ».

Le véhicule de fonction reste à la disposition du salarié jusqu’au terme du contrat, même en cas de dispense de préavis

[Résumé]

Dans une décision du 24-03-2021, la Cour de cassation rappelle qu’à l’occasion de la rupture du contrat de travail, l’employeur qui dispense son salarié d’exécuter son préavis ne lui permets pas de récupérer le véhicule de fonction mise à disposition pour un usage professionnel et personnel.

 

(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 mars 2021, 19-18.930, Inédit)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, M. D est engagé par la société Serac Group en qualité de contrôleur de gestion. Par avenant au contrat de travail du 18 juin 2015, M. D est nommé directeur de la société Nova. Le 18 janvier 2017, l’employeur licencie M. D, le dispense de l’exécution de son préavis, et le prive donc du véhicule de fonction dont il jouissait.

 

C’est dans ces conditions que M. D saisit la juridiction prud’homale pour demander la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur de son contrat de travail et être indemnisé au motif de la privation de son véhicule de fonction pendant son préavis. Le conseil des prud’hommes du Mans rejette les demandes formulées par M. D.

 

D interjette appel de la décision et porte l’affaire devant la Cour d’appel d’Angers qui confirme la décision de 1e instance concernant le véhicule de fonction de M. D, qui n’en n’avait plus l’utilité étant donnée la dispense de préavis.

 

D forme un pourvoi en cassation, au visa des articles L. 1234-4 et -5 du Code du travail, aux motifs la dispense par l’employeur de l’exécution du travail pendant le délai-congé ne doit entraîner, jusqu’à l’expiration de ce délai, aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait reçus s’il avait accompli son travail.

 

Par un arrêt du 21-03-2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel en ces termes : « En statuant ainsi, alors que l’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution de l’avantage en nature constitué par la mise à sa disposition d’un véhicule de fonction pour un usage professionnel et personnel, conféré par l’avenant à son contrat de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

A notre connaissance, cette décision n’est pas nouvelle (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre sociale, du 8 mars 2000, 99-43.091, Publié au bulletin). Elle permet de rappeler que l’inexécution du préavis n’entraîne aucune diminution de l’avantage en nature constitué par la mise à disposition d’un véhicule de fonction pour un usage professionnel et personnel, attribué par avenant à son contrat de travail.

 

En tout état de cause, il est conseillé à l’employeur qui dispense un salarié de l’exécution de son préavis, de lui laisser son véhicule de fonction à disposition jusqu’à la rupture effective de son contrat de travail. De manière plus générale, l’employeur ne doit pas ôter au salarié dispensé de son préavis ses salaires et avantages, sous peine de lui verser une indemnité relative au salaire ou à l’avantage en nature que le salarié n’a pas perçu (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre sociale, du 4 mars 1998, 95-42.858, Publié au bulletin).

L’enregistrement (à l’insu de l’employeur) est-il une preuve valable en justice ?

Dans un arrêt du 26 mars 2021, la Cour d’appel de Bourges s’est prononcée sur la question de la recevabilité d’un enregistrement versée au débat par un salarié.

 

En l’espèce, un salarié (de nationalité étrangère) est embauché au poste d’animateur par l’association Centre social du Banlay (devenu Medio). Le 16 mars 2015, le salarié fait l’objet d’un avertissement. En mars 2017, l’employeur publie une offre de recrutement d’un poste directeur. Le salarié voit sa candidature rejetée à deux reprises. Ce dernier est en arrêt maladie à compter du 2 octobre 2017. Il sera déclaré inapte définitivement à son poste le 8 février 2018 et immédiatement licencié pour inaptitude.

 

La salariée saisi la juridiction prud’hommale pour contester le caractère réel et sérieux du licenciement. Il soutient que le licenciement repose sur une discrimination qu’il justifie par la production d’un enregistrement audio capté à l’insu de l’employeur. Les conseillers prud’hommaux accueillent favorablement cet enregistrement audio et font droit à la demande du salarié.

 

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Bourges qui, par un arrêt du 26 mars 2021, accueille favorablement l’enregistrement audio :

 

D’abord, la Cour rappelle, au visa des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, « que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. ».

 

Ensuite, la Cour constate qu’il n’apparaît pas que « cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur » et que cet enregistrement « est intervenue dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous, et notamment de trois salariés, dont deux déclarant avoir pu en entendre des bribes. »

 

Enfin, la Cour en conclu que « la production de l’enregistrement querellé, confirmé par constat d’huissier, sera admise et il sera dès lors considéré que [le salarié] présente, avec le témoignage de la chargée d’accueil, des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination à son égard dans l’examen de sa candidature au poste de directeur du centre social ».

 

Les juges du fonds ont donc dégagé les critères de recevabilité d’une telle preuve :

 

(1) conversation entre le salarié et l’employeur,

(2) conversation dans un cadre professionnel avec un objet professionnel,

(3) conversation aux termes de laquelle l’employeur livre des confidences utiles aux prétentions du salarié

(4) enregistrement qui ne cause aucun préjudice pour l’interlocuteur dupé,

(5) conversation dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous.

 

A notre connaissance, cette décision est audacieuse notamment si elle est analysée au regard de l’article 226-1 du Code pénal qui sanctionne tout enregistrement privé à l’insu de l’interlocuteur (ce qui était le cas en l’espèce), sauf si cet enregistrement sert les intérêts de la défense.

 

Cour d’appel de Bourges, Chambre sociale, 26 mars 2021, n° 19/01169

Une sanction disciplinaire, même acceptée par le salarié, peut être contestée devant le Conseil des prud’hommes

Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question du contrôle juridictionnel a posteriori de la validité d’une sanction disciplinaire proposée par l’employeur, acceptée et exécutée par le salarié.

 

En l’espèce, un salarié est embauché au poste de responsable du patrimoine régional du village de vacances de la société SNCF. Sur la base de fautes reprochées au salarié, l’employeur lui propose une rétrogradation à titre de sanction disciplinaire. Le salarié accepte cette proposition et prend son nouveau poste.

 

Postérieurement à cette acceptation, le salarié saisit la juridiction prud’hommale pour faire annuler cette sanction qu’il juge disproportionnée par rapport à la faute commise. Les conseillers prud’hommaux font droit à cette demande.

 

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui déboute le salarié de sa demande au motif qu’il avait accepté la sanction en toute connaissance de cause.

 

Déterminé, le salarié forme un pourvoi en cassation et prétend, au visa de l’article L. 1333-2 du Code du travail que la sanction est injustifiée voire disproportionnée à la faute commise. Selon lui, l’acceptation de la sanction importe peu, il appartient au juge d’en contrôler la régularité.

 

Par un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du Code du travail en ces termes :

 

« En statuant ainsi, sans s’assurer, comme elle y était invitée, de la réalité des faits invoqués par l’employeur, de leur caractère fautif et de la proportionnalité de la sanction prononcée à la faute reprochée au salarié, la cour d’appel, qui n’a pas exercé son office, a violé les textes susvisés. »

 

A notre connaissance, cette décision n’est pas nouvelle (voir Cour de Cassation, Chambre sociale, du 14 novembre 2000, 98-45.309, Publié au bulletin). Pourtant, la large publication de cette décision a vocation à rappeler aux employeurs la vigilance dont ils doivent faire preuve lorsqu’ils prennent la décision de sanctionner un salarié : il n’est absolument pas suffisant de se réserver la preuve de l’accord du salarié.

 

En effet, il est vivement conseillé (voire exigé) à l’employeur de :

 

(1) conserver précieusement toutes les preuves matérielles des faits reprochés au salarié (mails, courriers, sms, témoignages, …),

 

(2) s’assurer du caractère fautif de ces faits (violation de la loi, violation du contrat de travail, manquement au devoir de loyauté, …),

 

(3) s’assurer de la proportionnalité de la sanction envisagée par rapport aux faits reprochés au salarié.

 

Cour de cassation, Chambre sociale, 14 avril 2021, 19-12.180, Publié au bulletin

La distribution de dividendes n’est pas nécessairement une faute de gestion de l’employeur dans le cadre d’un licenciement économique

Par une série de 5 arrêts en date du 4 novembre 2020, la Chambre sociale est venue préciser les contours de la notion de faute de gestion de l’employeur dans le cadre d’un licenciement économique.

 

En l’espèce, au sein de la société Pages Jaunes, une réorganisation de l’entreprise a lieu et aboutit à un plan de sauvegarde de l’emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013, validé par la DIRECCTE d’Ile de France le 2 janvier 2014. Dans ce cadre, des salariés de la société Pages Jaunes refusent la modification de leur contrat de travail proposée dans le cadre de cette réorganisation, ce qui, par conséquent, provoque leur licenciement pour motif économique.

 

Le juge administratif, d’abord par un arrêt de Cour administrative d’appel du 22 octobre 2014, puis par un arrêt du Conseil d’Etat du 22 juillet 2015 annule la décision de validation de la DIRECCTE au motif qu’elle ne revêt pas le caractère majoritaire imposé par l’article L. 1233-24-1 du Code du travail.

 

À la suite de cette décision d’annulation, les salariés saisissent le Conseil des Prud’hommes aux fins de voir juger que le motif économique de leur licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

 

La Cour d’appel de Caen accueille les demandes des salariés et condamne l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle rappelle la situation de la société Pages jaunes est une filiale à 100% de Pages Jaunes Groupe (aujourd’hui dénommé Solocal) et que dans le cadre d’une opération de LBO (« leverage buy-out ») la holding se distribuait les dividendes de la filiale pour assurer le remboursement de l’emprunt. Or ces décisions ont provoqué l’assèchement des ressources financières de la filiale la privant d’investissements stratégiques nécessaires pour adapter l’organisation de la société à la nouvelle configuration du marché de la publicité.

 

Par conséquent, la Cour d’appel considère que l’inadaptation de l’organisation de celle-ci, qui a causé son manque de compétitivité et par la même la dégradation de sa situation économique, sont imputables aux décisions de mise à disposition de liquidités qui ont empêché ou limité les investissements nécessaires. Ces décisions sont donc qualifiées, par les juges du fond, de préjudiciables, prises dans le seul intérêt de l’actionnaire et ne pouvant pas constituer une simple erreur de gestion.

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 4 novembre 2020 censure le raisonnement des juges du fond. Elle relève que les motifs retenus par la Cour d’appel ne suffisent pas à qualifier une faute de l’employeur et rappelle que l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion, ne peut caractériser à elle seule une faute de gestion. Ce n’est que lorsque l’employeur commet une faute causant une menace sur la compétitivité, nécessitant dès lors une réorganisation, que cette faute est susceptible de priver le caractère réel et sérieux des licenciements engendrés par cette réorganisation. Ainsi, la Chambre sociale s’assure, par cet arrêt, que le contrôle des juges porte sur la notion et la commission d’une faute ; pas sur les choix de gestion qui ont été effectués par l’employeur.

 

(Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2020, 18-23.029 18-23.030 18-23.031 18-23.032 18-23.033, Publié au bulletin)

La renonciation tardive, par l’employeur, au bénéfice de la clause de non-concurrence

Pas de clause de non-concurrence sans contrepartie financière. Ainsi, selon les circonstances, l’employeur peut être tenté de renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence et libérer le salarié de toute obligation à cet égard.

 

Quid de la renonciation tardive, par l’employeur, au bénéfice de la clause de non-concurrence.

 

Rappelons que la faculté de renonciation doit être prévue au contrat. Aussi, une renonciation orale n’est pas opposable. En effet, la renonciation par l’employeur à l’obligation de non-concurrence ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer (Cour de cassation, Chambre sociale, 6 février 2019, 17-27.188).

 

Conseil : mieux vaut informer le salarié de la renonciation par courrier recommandé avec accusé de réception afin de se réserver la preuve.

 

En ce qui concerne la question du délai de la renonciation, la jurisprudence considère que « si la dispense tardive de l’obligation de non-concurrence ne décharge pas l’employeur de son obligation d’en verser au salarié la contrepartie pécuniaire, celle-ci ne lui est due que pour la période pendant laquelle il a respecté ladite clause ; » (Cour de Cassation, Chambre sociale, du 13 septembre 2005, 02-46.795, Publié au bulletin).

 

Conseil : mieux vaut tard que jamais. L’employeur négligeant a tout intérêt à informer dans les formes le salarié de sa renonciation, même si cette information est tardive. Ainsi, l’indemnité ne serait dû qu’au prorata du temps de la violation de la clause par l’employeur.