L’enregistrement (à l’insu de l’employeur) est-il une preuve valable en justice ?

Dans un arrêt du 26 mars 2021, la Cour d’appel de Bourges s’est prononcée sur la question de la recevabilité d’un enregistrement versée au débat par un salarié.

 

En l’espèce, un salarié (de nationalité étrangère) est embauché au poste d’animateur par l’association Centre social du Banlay (devenu Medio). Le 16 mars 2015, le salarié fait l’objet d’un avertissement. En mars 2017, l’employeur publie une offre de recrutement d’un poste directeur. Le salarié voit sa candidature rejetée à deux reprises. Ce dernier est en arrêt maladie à compter du 2 octobre 2017. Il sera déclaré inapte définitivement à son poste le 8 février 2018 et immédiatement licencié pour inaptitude.

 

La salariée saisi la juridiction prud’hommale pour contester le caractère réel et sérieux du licenciement. Il soutient que le licenciement repose sur une discrimination qu’il justifie par la production d’un enregistrement audio capté à l’insu de l’employeur. Les conseillers prud’hommaux accueillent favorablement cet enregistrement audio et font droit à la demande du salarié.

 

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Bourges qui, par un arrêt du 26 mars 2021, accueille favorablement l’enregistrement audio :

 

D’abord, la Cour rappelle, au visa des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, « que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. ».

 

Ensuite, la Cour constate qu’il n’apparaît pas que « cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur » et que cet enregistrement « est intervenue dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous, et notamment de trois salariés, dont deux déclarant avoir pu en entendre des bribes. »

 

Enfin, la Cour en conclu que « la production de l’enregistrement querellé, confirmé par constat d’huissier, sera admise et il sera dès lors considéré que [le salarié] présente, avec le témoignage de la chargée d’accueil, des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination à son égard dans l’examen de sa candidature au poste de directeur du centre social ».

 

Les juges du fonds ont donc dégagé les critères de recevabilité d’une telle preuve :

 

(1) conversation entre le salarié et l’employeur,

(2) conversation dans un cadre professionnel avec un objet professionnel,

(3) conversation aux termes de laquelle l’employeur livre des confidences utiles aux prétentions du salarié

(4) enregistrement qui ne cause aucun préjudice pour l’interlocuteur dupé,

(5) conversation dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous.

 

A notre connaissance, cette décision est audacieuse notamment si elle est analysée au regard de l’article 226-1 du Code pénal qui sanctionne tout enregistrement privé à l’insu de l’interlocuteur (ce qui était le cas en l’espèce), sauf si cet enregistrement sert les intérêts de la défense.

 

Cour d’appel de Bourges, Chambre sociale, 26 mars 2021, n° 19/01169

Contrat de franchise / Contrat de licence de marque : les éléments contenus dans le Document d’Information Pré-contractuelle (DIP) doivent être complets, exactes, sincères et loyaux.

Dans un arrêt du 14 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la validité d’un contrat de franchise dès lors qu’il est démontré que le franchiseur a volontairement omis de révéler dans le Document d’Information Pré-contractuelle (DIP) que le Développeur Régional du Réseau a, par le passé, essuyé un échec dans le développement d’un tout autre réseau de franchise.

 

En l’espèce, la société Era Global Management Limited exploite une activité de prestations de conseil et d’accompagnement auprès des entreprises en matière de réduction de leurs coûts et frais généraux. Le 8 novembre 2006, la société Era Global Management Limited (la société concédante) concède à une société (la société licenciée) une licence pour exploiter cette activité sur des régions ciblées. Le 30 mars 2010, la société licenciée suspend le règlement des redevances du contrat de licence considérant que la société concédante ne remplit pas ses obligations contractuelles. La société concédante résilie le contrat de licence et demande le paiement des redevances impayées, outre l’application de la clause de non-concurrence.

 

La société licenciée saisit le juge des référés près le Tribunal de commerce de Paris pour demander la requalification du contrat de licence en un contrat de franchise d’une part, et la nullité de ce contrat de franchise d’autre part. En effet, la société licenciée fait grief à la société concédante d’avoir volontairement omit de révéler, dans le Document d’Information Pré-contractuelle (DIP) que le Directeur Régional du Réseau de la Franchise a, par le passé, connu un échec ayant abouti sur la liquidation judiciaire sur le territoire français (fût-ce dans le cadre d’un tout autre réseau). A ce propos, la société licenciée considère que cette information est déterminante de son consentement dans la mesure où le réseau étant mis en place repose sur une « master franchise régionale », ce qui suppose une sélection rigoureuse du « développeur régional » pour ses capacités professionnelles et financières. Dans ces conditions, la société licenciée considère que l’information sur l’échec passé du Directeur Régional, même dans un domaine d’activité différent, était un élément que devait connaître tout candidat, fut-ce même sous un contrat de licence.

 

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui, au visa des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, confirme la décision de première instance en ces termes :

 

« Considérant que le DIP et ses annexes ne donnaient pas une vision exacte, sincère et loyale du dirigeant, du marché et des perspectives de l’entreprise dans laquelle [la société licenciée] s’engageait ; que son consentement a été vicié par un ensemble d’informations tronquées, vagues et confuses ; que la société Era Global Management Ltd aux droits […] a commis une faute civile ; que l’annulation du contrat s’impose ; que le jugement sera confirmé, »

 

Cette décision a le mérite de rappeler qu’il appartient au franchiseur de communiquer au candidat à la franchise, au travers du Document d’Information Pré-contractuelle (DIP) une information complète, exacte, sincère et loyale. A défaut, il s’agit d’une porte ouverte au franchisé pour engager une action en nullité du contrat de franchise sur le fondement de la réticence dolosive.

 

A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que l’article R. 330-1 du Code de commerce précise de manière exhaustive le contenu de ces informations. A la lecture de cette disposition règlementaire, le franchiseur prendra conscience de l’étendue de son obligation d’information pré-contractuelle. Il doit en effet aborder la présentation de son réseau, du marché et des perspectives de développement avec le plus grand soin et la plus grande exhaustivité. Créer un réseau de franchise n’est pas une mince affaire et nécessite une véritable réflexion sur la vision à long terme de son propre réseau.

 

(Cour d’appel de Paris, 14 janvier 2015, n° 12/18716)

Une sanction disciplinaire, même acceptée par le salarié, peut être contestée devant le Conseil des prud’hommes

Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question du contrôle juridictionnel a posteriori de la validité d’une sanction disciplinaire proposée par l’employeur, acceptée et exécutée par le salarié.

 

En l’espèce, un salarié est embauché au poste de responsable du patrimoine régional du village de vacances de la société SNCF. Sur la base de fautes reprochées au salarié, l’employeur lui propose une rétrogradation à titre de sanction disciplinaire. Le salarié accepte cette proposition et prend son nouveau poste.

 

Postérieurement à cette acceptation, le salarié saisit la juridiction prud’hommale pour faire annuler cette sanction qu’il juge disproportionnée par rapport à la faute commise. Les conseillers prud’hommaux font droit à cette demande.

 

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui déboute le salarié de sa demande au motif qu’il avait accepté la sanction en toute connaissance de cause.

 

Déterminé, le salarié forme un pourvoi en cassation et prétend, au visa de l’article L. 1333-2 du Code du travail que la sanction est injustifiée voire disproportionnée à la faute commise. Selon lui, l’acceptation de la sanction importe peu, il appartient au juge d’en contrôler la régularité.

 

Par un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du Code du travail en ces termes :

 

« En statuant ainsi, sans s’assurer, comme elle y était invitée, de la réalité des faits invoqués par l’employeur, de leur caractère fautif et de la proportionnalité de la sanction prononcée à la faute reprochée au salarié, la cour d’appel, qui n’a pas exercé son office, a violé les textes susvisés. »

 

A notre connaissance, cette décision n’est pas nouvelle (voir Cour de Cassation, Chambre sociale, du 14 novembre 2000, 98-45.309, Publié au bulletin). Pourtant, la large publication de cette décision a vocation à rappeler aux employeurs la vigilance dont ils doivent faire preuve lorsqu’ils prennent la décision de sanctionner un salarié : il n’est absolument pas suffisant de se réserver la preuve de l’accord du salarié.

 

En effet, il est vivement conseillé (voire exigé) à l’employeur de :

 

(1) conserver précieusement toutes les preuves matérielles des faits reprochés au salarié (mails, courriers, sms, témoignages, …),

 

(2) s’assurer du caractère fautif de ces faits (violation de la loi, violation du contrat de travail, manquement au devoir de loyauté, …),

 

(3) s’assurer de la proportionnalité de la sanction envisagée par rapport aux faits reprochés au salarié.

 

Cour de cassation, Chambre sociale, 14 avril 2021, 19-12.180, Publié au bulletin