La garantie d’éviction dans une cession de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision en date du 10 novembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique qu’il est possible que la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre soient restreintes par le jeu de la garantie d’éviction en matière de cessions de droits sociaux. Toutefois, cette restriction ne vaut qu’à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

(Cass. com., 10 nov. 2021, n° 21-11.975, F+B)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce les associés fondateurs d’une société spécialisée dans l’édition de solutions informatiques ont cédé en 2007 leurs titres à une société Linagora, dont ils sont devenus par ailleurs associés. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société dont les titres avaient été cédés.

Postérieurement, les intéressés ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011. Ils ont par la suite ensemble créée une nouvelle société.

Invoquant notamment la garantie légale d’éviction, la société Linagora les a assignés en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice. Les juges du fond ont accédé à cette demande, conduisant à la formation d’un pourvoi en cassation.

La Chambre commerciale censure l’arrêt d’appel en ces termes :

« Vu les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil : 7. Il se déduit de l’application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. 8. Pour dire que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, leur interdire d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO et dire que du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l’égard de la société Linagora GSO, l’arrêt constate que M. [N] et M. [W] se sont rétablis, par l’intermédiaire de la société Blue Mind, dans le même secteur d’activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent. Il relève également qu’ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel OBM, qu’ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l’activité de la société Linagora GSO et que les clients se sont détournés de cette dernière après le départ de M. [N] et M. [W] pour contracter avec la société Blue Mind à la suite d’une procédure d’appel d’offres à laquelle celle-ci avait répondu. Il retient enfin que leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Linagora GSO, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité. 9. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

[L’avis du Cabinet]

Les cessions de droits sociaux s’analysent comme des ventes et les règles du code civil y afférentes sont applicables. Parmi celles-ci, l’article 1626 prévoit le mécanisme suivant : « Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ».

En l’espèce, la cession de titres concernait une société ayant une activité commerciale. Les cessionnaires entendaient se prévaloir de la garantie d’éviction dans la mesure où les cédants avait constitué plusieurs années après une nouvelle entité dans le même secteur d’activité que la société cédée pour offrir un produit concurrent à celui précédemment développé. Les juges du fond avaient admis retenu la garantie d’éviction à cet égard.

La Haute juridiction censure cette solution et admet le jeu d’un contrôle de proportionnalité en la matière. En l’occurrence la chambre commerciale reproche à la cour d’appel d’avoir retenue le bénéfice de la garantie « après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ».

Au regard du contexte, les juges du fond auraient dû proposer une analyse in concreto pour apprécier les intérêts en présence et admettre ou non l’interdiction de se rétablir. Les magistrats du Quai de l’Horloge procèdent dans cet arrêt à une intéressante mise en balance des intérêts du cédant et du cessionnaire. Elle ouvre toutefois la voie d’un contentieux judiciaire important sur la question, ce qui ne peut qu’inciter à l’anticipation contractuelle.

Est nulle la promesse de société faute d’accord sur l’objet de la société pour défaut d’affectio societatis

[Résumé]

Dans une décision du 3 mars 2021, la cour de cassation précise qu’une promesse de société doit être annulée dès lors que les parties ne s’étaient pas entendues sur l’objet des sociétés qu’elles envisageaient de constituer, que les biens à acquérir devaient servir à réaliser, ce dont elle a pu déduire l’absence d’affectio societatis.

(Cour de cassation, civile chambre commerciale, 3 mars 2021 n° 19-10.693)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un gérant de SARL et une SCI se consultent dans la perspective de constituer deux sociétés devant acquérir un ensemble immobilier. Le premier renonce au projet. La SCI cherche à engager sa responsabilité pour inexécution de la promesse de constitution des deux sociétés. Le gérant de SARL s’oppose à cette action en responsabilité et invoque la nullité de la promesse, sur le fondement du défaut d’affectio societatis.

 

La cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 13 novembre 2018 a été sensible à l’argumentation du gérant. Les juges du fond considèrent que l’absence d’affectio societatis tient ici à l’imprécision des modalités d’occupation des locaux et à l’absence de communauté de vues sur leur usage.

Le 3 mars 2021 la chambre commerciale de la Cour de cassation, confirme cette approche en ces termes :

« 4. D’une part, l’arrêt énonce que l’affectio societatis se définit comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d ’égalité à la poursuite de l ’œuvre commune. Il constate qu’il est établi que M. D… tenait M. Mercieca au courant de l’avancement de ses démarches en vue de l’acquisition des biens immobiliers que les futures sociétés devaient exploiter, que la société Compagnie foncière du Genevois avait versé la moitié du dépôt de garantie et qu’un rendez-vous avait été organisé chez le notaire pour discuter des statuts des sociétés dont la création était envisagée. Il retient que la preuve n’est pas rapportée d’un échange entre les parties sur leurs projets respectifs concernant la destination des biens immobiliers concernés, ni sur les modalités pratiques de leur occupation respective. Il retient ensuite que le contenu du courriel de M. D… du 29 juillet 2011 démontre son ignorance des projets de M. Mercieca ainsi qu’une absence de communauté de vue sur l’usage de ces biens et de volonté de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à une œuvre commune, que les activités ponctuelles de M. D… et de la société Bessimo, qu’il décrit, ne suffisent pas davantage à démontrer. En l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les parties ne s’étaient pas entendues sur l’objet des sociétés qu’elles envisageaient de constituer, que les biens à acquérir devaient servir à réaliser, ce dont elle a pu déduire l’absence d’affectio societatis et, par voie de conséquence, la nullité de la promesse de sociétés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. 5. D’autre part, il ne ressort ni de l’arrêt ni de leurs conclusions que les sociétés Compagnie foncière du Genevois, Europe enchères et […] aient, devant la cour d’appel, invoqué la mauvaise foi de M. D… pour s’opposer à la demande de nullité formée par ce dernier et la société Bessimo. Le moyen, en sa seconde branche, est ainsi nouveau et mélangé de fait et de droit. 6. Le moyen, pour partie irrecevable, n’est donc pas fondé pour le surplus. »

[L’avis du Cabinet]

La loi ne définit pas l’affectio societatis et n’en fait pas expressément une condition de validité du contrat de société. Néanmoins, la jurisprudence et la doctrine ont consacré cette condition en la déduisant notamment de l’article 1833 du Code civil qui dispose en son 1e alinéa que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».

L’affectio societatis doit s’entendre comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune. Cela implique que chaque associé puisse avoir un rôle dans la société en participant, a minima, aux décisions collectives (article 1844 alinéa 1er du Code civil) et en contribuant aux pertes sociales (article 1832 du Code civil). En pratique, la notion d’affectio societatis a pour fonction essentielle de permettre l’identification d’un contrat de société par le juge.

La Cour de cassation rappelle que l’affectio societatis s’entend comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune. Elle retient ensuite que l’absence d’accord sur l’objet de la société (en l’espèce défaut d’accord sur la destination des biens immobiliers et l’usage des biens à exploiter…) que des personnes envisagent de créer exclut leur volonté de collaborer ensemble sur un pied d’égalité à la poursuite d’une œuvre commune. Partant, la nullité de la promesse était encourue.

S’il était admis que l’affectio societatis était une exigence de validité du contrat de société au moment de sa constitution, l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 3 mars 2021 consacre cette exigence au stade de l’avant contrat par le biais de la promesse de constitution de société. La Cour de cassation intègre en effet l’affectio societatis, comme condition de validité de l’avant-contrat. En conséquence, l’absence d’affectio societatis sera sanctionnée par la nullité, dans la mesure ou la nullité est la sanction qui vient frapper les contrats mal formés.

Action en comblement d’insuffisance d’actif : le dirigeant démissionnaire exonéré pour des faits postérieurs à la démission même non publiée

[Résumé]

Dans un arrêt du 16 juin 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient que la responsabilité du dirigeant de droit ne pouvait pas être retenue dès lors que sa démission n’était pas contestée et ce quand bien même elle n’aurait fait l’objet d’aucune publicité.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 juin 2021, 20-15.399, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une société a été mise en liquidation judiciaire le 27 novembre 2009.

C’est dans ces conditions que le liquidateur a assigné les dirigeants en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Par jugement en date du 26 décembre 2014, le tribunal de commerce de Bergerac a condamné in solidum le dirigeant de fait et la dirigeante de droit au paiement de la totalité du passif.

Les deux dirigeant ont interjeté appel. Par un arrêt du 28 janvier 2020, la cour d’appel de Pau a infirmé le jugement, pris acte du désistement du liquidateur judiciaire et, statuant à nouveau, a condamné la gérante de droit au paiement d’une partie de l’insuffisance d’actif.

Les juges du fond ont relevé que la gérante de droit apparaissait toujours sur le KBIS de la société alors qu’elle avait démissionné de son mandat social depuis plusieurs mois. De plus, le procès-verbal de l’assemblée générale actant de sa démission deux mois plus tôt n’avait pas été publié au RCS.

Ainsi, la gérante de droit forme un pourvoi en cassation à l’appui duquel elle invoque que « l’inopposabilité des actes qui n’ont pas été publiés ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu la responsabilité des dirigeants », en soutenant que l’« absence de publicité n’a pas affecté les effets de la cessation de fonctions et que la perte de sa qualité de dirigeant s’oppose à ce qu’elle réponde de l’insuffisance d’actif créée ou aggravée après la cessation de ses fonctions ».

Par un arrêt du 16 juin 2021, la Cour de cassation, au visa de l’article L.123-9 du Code de commerce casse et annule l’arrêt d’appel en retenant que la démission de la gérante de droit n’était pas contestée.

La chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la cour d’appel a violé l’article L. 123-9 du code de commerce et énonce que :

« Selon ce texte, la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer aux tiers les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre du commerce et des sociétés. Néanmoins, l’inopposabilité ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce ».

[L’avis du Cabinet]

Par cet arrêt, la Haute juridiction rappelle que le dirigeant démissionnaire ne peut pas être poursuivi en responsabilité pour insuffisance d’actif pour des faits postérieurs à sa démission, même si celle-ci n’a pas fait l’objet de publicité.

En effet, le principe d’inopposabilité aux tiers de la nomination ou de la cessation des fonctions du dirigeant non publiée au RCS (C. com., art. L. 123-9) ne concerne pas la mise en jeu de sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce.

La solution est orthodoxe : le dirigeant ne doit être condamné qu’au titre des faits auxquels il a pu prendre part. Ces faits s’étendent entre la date de sa nomination et celle de la cessation de ses fonctions, peu important le défaut de publication de ces événements au RCS ou la date de cette publication Cette solution s’inscrit dans la continuité (Cass. com., 14 oct. 1997, n° 95-15.384, à propos d’une démission non publiée ; Cass. com., 8 juill. 2003, n° 00-18.250, à propos d’une nomination non publiée).

L’usufruitier de droits sociaux n’a pas la qualité d’associé

[Résumé]

Dans un avis en date du 1e décembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique clairement que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé, celle-ci ne bénéficiant qu’au seul nu-propriétaire. L’usufruitier peut toutefois peut provoquer une délibération des associés si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.

(Cass. com. avis 1-12-2021 n° 20-15.164 FS-D)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, à la faveur d’un contentieux entre associés d’une SCI familiale, la Cour de cassation vient pour la première fois expressément se prononcer sur le statut de l’usufruitier de titres sociaux. Il était en l’occurrence question de savoir si l’usufruitier pouvait solliciter une délibération ayant pour objet la révocation du gérant.

La Chambre commercial a ainsi émis l’avis suivant :

« 1. Aux termes de l’article 578 du code civil, l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. 2. Selon l’article 39, alinéas 1 et 3, du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa version applicable, un associé non-gérant d’une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s’oppose à la demande ou garde le silence, l’associé demandeur peut, à l’expiration du délai d’un mois à compter de sa demande, solliciter du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés. 3. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. ».

[L’avis du Cabinet]

Les démembrements de titres sociaux permettent pour des parts ou actions de séparer pour le même bien la nue-propriété de l’usufruit. La technique est fréquemment utilisée, par exemple dans le cadre familial pour permettre la transmission de la société aux générations suivantes.

Il était acquis jusqu’alors que le nu-propriétaire des droits sociaux avait bien la qualité d’associé, ce qui lui permettait de jouir des droits y afférents. C’est en revanche la première fois que la Haute juridiction se prononce au sujet de l’usufruitier. Le présent avis vient lui refuser expressément la qualité d’associé sans pour autant le priver de tous droits.

D’abord, l’usufruitier dispose du droit de participer aux décisions collective (art. 1844 alinéa 1 du code civil) et ne peut être privé de celui de voter aux décisions concernant l’affection des bénéfices (art. 1844 alinéa 3 du code civil).

Ensuite, la Haute juridiction précise que l’usufruitier doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. Il ressort en l’espèce que l’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de co-gérants, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.

N’est pas nulle la décision qui accorde au dirigeant une rémunération au seul motif qu’elle est contraire à l’intérêt social

[Résumé]

Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise, en matière de droit des sociétés, qu’une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés.

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 janvier 2021, 18-21.860, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un dirigeant majoritaire ainsi que son épouse envisagent de céder l’intégralité des parts sociales qu’ils détiennent dans le capital de la société à responsabilité limité au profit d’un cessionnaire unique. Une promesse de cession est signée sous certaines conditions suspensives.

Avant la réitération de la vente des parts, les cédants convoquent et tiennent deux assemblées générales aux termes desquelles deux primes conséquentes sont consenties au cédant dirigeant majoritaire. L’une correspond à sa fonction de mandataire social, l’autre à un simple rappel de salaire.

Postérieurement à la réitération de la vente des parts, le cessionnaire refuse de verser les primes au cédant au motif qu’elles caractériseraient des actes anormaux de gestion mettant en péril les intérêts de la société.

C’est dans ces conditions que le cédant bénéficiaire des primes saisi le tribunal de commerce de Bourges aux fins de paiement desdites primes. En défense, le cessionnaire demande l’annulation des résolutions prises en assemblées générales sur le fondement de l’abus de majorité. Les juges de première instance considèrent, d’une part, qu’il n’y a pas eu abus de majorité au motif que « les décisions [ont] été prises en adéquation avec la situation financière de la société et à l’unanimité lors des assemblées générales » et, d’autre part, que le formalisme prévu aux statuts a parfaitement été respecté. Ils rejettent donc l’argument du cessionnaire et condamnent la société au paiement des primes.

Le cessionnaire interjette appel. Par un arrêt du 14 juin 2018, la Cour d’appel de Bourges infirme la décision de première instance, annule les délibérations adoptées lors des deux assemblées générales et juge que les primes constituaient une rémunération abusive car manifestement excessive et contraire à l’intérêt social.

Le cédant forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure les juges du fond en ces termes : « en statuant ainsi, sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l’intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s’imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats, ni relever l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit commis par un ou plusieurs associés, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Cette décision est prise au visa, notamment, de l’article L. 235-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises aux termes duquel une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés.

[L’avis du Cabinet]

Cette décision parait conforme à l’orthodoxie juridique. En effet, il semble que le cessionnaire ait été négligeant dans l’opération d’acquisition qui précisait justement l’existence de cette prime. A court d’argument, le cessionnaire a sans doute tenté le tout pour le tout postérieurement à l’opération mais cette action était vouée à l’échec. Peut-être la mise en œuvre de la clause de garantie d’actif passif aurait-elle été plus efficace…

Le nouvel article L. 235-1 alinéa 2 du code de commerce dispose que « La nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre, à l’exception de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 du code civil. »