Dirigeant de fait : une situation risquée !

[Résumé]

 

Dans une décision du 02-06-2021, la Cour de cassation rappelle qu’une personne qui participe effectivement dans la prise de décisions importantes à la vie d’une société peut être qualifiée de dirigeante de fait. Nous préciserons les conséquences d’une telle qualification.

 

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 2 juin 2021, 20-13.735, Inédit)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire d’une société, le Tribunal de commerce prononce une interdiction de gérer à l’encontre de Mme C (dirigeante de droit de la société) mais également à l’encontre de M. P (qualifié de dirigeant de fait).

 

P interjette appel de la décision. L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui confirme la qualification de dirigeant de fait au motif que M. P disposait d’une adresse électronique personnelle au nom de la Société, qu’il était sollicité par Mme C pour toutes les décisions à prendre, que Mme C le suivait aveuglément. En outre, M. P, qui n’était ni salarié, ni dirigeant, mais détenait 70 % des parts de ladite Société, échangeait directement avec l’avocat dans le cadre d’instances en cours.

 

P forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, qu’il ne faisait qu’apporter une aide dans l’exploitation de la société et, d’autre part, qu’il n’accomplissait pas d’acte positif de gestion et de direction engageant la société.

 

Par un arrêt du 02-07-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de M. P en ces termes : « L’arrêt retient qu’au moyen d’une adresse électronique dont il disposait au sein de la société General services, c’est M. [P] qui, par ses messages, avait le « rôle moteur», Mme [C], gérante de droit, lui demandant, non seulement, son avis sur toutes les décisions importantes, mais agissant comme sa simple exécutante. Il retient, par exemple, que c’est M. [P] qui s’entretenait d’instances judiciaires en cours avec les avocats concernés et qui donnait des instructions quant à la cession d’un terrain, Mme [C] n’intervenant, dans tous les cas, que pour transmettre des documents, voire n’étant même pas informée des sujets importants. Il ajoute que M. [P], qui n’était ni salarié, ni mandataire de la société General services, donnait des consignes pour effectuer des virements et pour organiser un voyage en vue de signer des actes de cession et que ses différentes interventions auprès des salariés et prestataires extérieurs le faisaient apparaître comme ayant un rôle de décideur. De ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que M. [P] était dirigeant de fait de la société General services. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

Cet arrêt vient confirmer la position de la Cour de cassation quant aux critères de qualification du dirigeant de fait (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 septembre 2000, 99-88.011, Publié au bulletin).

 

L’intérêt de cette décision consiste à mettre en garde quiconque participe activement à la prise de décisions importantes à la vie d’une société. L’intéressé peut être qualifié de dirigeant de fait, ce qui implique de lourdes conséquences. Ainsi relève de cette qualification une personne qui « avait exercé, de façon continue et régulière, depuis l’origine de la société, créée à son initiative, une activité positive de gestion et de direction en toute liberté » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 25 janvier 1994, 91-20.007, Inédit).

 

Le dirigeant de fait ne jouit d’aucun des avantages du dirigeant de droit.

 

En revanche, il partage avec lui toutes les sources de responsabilité :

 

(1) Responsabilité civile du dirigeant de fait : le dirigeant de fait engage sa responsabilité pour les fautes qu’il aurait commises.

 

(2) Responsabilité pénale du dirigeant de fait : le dirigeant de fait est responsable pénalement des actes qu’il a accomplis à l’occasion de sa direction de fait. Sa situation est défavorable dans la mesure où il ne peut exciper une éventuelle délégation de pouvoirs.

 

(3) Responsabilités spécifiques du dirigeant de fait dans le cadre d’une procédure collective : Dans le cadre d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, le dirigeant de fait peut engager sa responsabilité en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif (art. L. 650-1 et suivants du Code de commerce). En outre, le dirigeant de fait peut être sanctionné par une mesure d’interdiction de gérer voire de faillite personnelle (art. L. 653-1 et suivants du Code de commerce). Enfin, le dirigeant de fait peut être sanctionné pénalement en cas de banqueroute (art. L. 654-1 et suivants du Code de commerce).

Quid du non-renouvellement du mandat de dirigeant de société arrivant à son terme ?

[Résumé]

 

Dans une décision du 17-03-2021, la Cour de cassation précise que le mandat des dirigeants sociaux des sociétés doit être expressément reconduit à son terme. La poursuite de ses fonctions par un dirigeant dont le mandat n’a pas été reconduit expressément fait naître un statut de dirigeant de fait, parfois lourd de conséquences pour ce dernier.

 

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 mars 2021, 19-14.525, Publié au bulletin)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, Mme G est nommée présidente d’une société (SAS) par une décision de l’Assemblée Générale en 2012 pour une durée de 3 ans ; sa révocation ne pouvant intervenir que sur motif grave, ou à l’expiration du mandat, sous peine de versement de dommages-intérêts. A l’expiration de son mandat, il n’a pas été statué quant à sa reconduction. Cette dernière s’est donc maintenue dans ses fonctions. Or, lors d’une AG de 2016 (soit un an après l’expiration officielle du mandat de Mme G) il a été décidé de ne pas la renouveler dans ses fonctions.

 

C’est dans ces conditions que Mme G saisit le Tribunal de commerce pour demander le paiement d’une indemnité statutaire et en dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire de ses fonctions. Le Tribunal de commerce la déboute de ses demandes.

 

Mme G interjette appel de la décision. L’affaire est portée devant la Cour d’appel d’Orléans qui confirme la décision de première instance.

 

Mme G forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, que le mandat de Président d’une SAS peut être reconduit tacitement et, d’autre part, que la rupture du mandat du dirigeant en cours d’exercice, sans motif grave, et de façon brutale et vexatoire, ouvre droit à indemnisation.

 

Par un arrêt du 17-03-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme G en ces termes « Lorsque le président d’une société par actions simplifiée a été nommé pour une durée déterminée, la survenance du terme entraîne, à défaut de renouvellement exprès, la cessation de plein droit de ce mandat. Le président qui, malgré l’arrivée du terme, continue de diriger la société ne peut donc pas se prévaloir d’une reconduction tacite de ses fonctions et devient alors un dirigeant de fait qui, à l’égard de la société, ne peut revendiquer les garanties dont bénéficie le seul dirigeant de droit. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur cette question. Si l’arrêt marque une continuité avec les décisions de diverses Cours d’appel quant aux dirigeants de SARL et SA (Ex. : Cour d’appel de Versailles, du 12 septembre 2002, 2000-7416 et Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 8, 16 octobre 2018, n° 16/03087), elle affirme ici la nécessité de désigner et proroger expressément le mandat des dirigeants sociaux lors d’une Assemblée Générale, et ce pour l’ensemble des sociétés.

 

Il est donc clairement recommandé au dirigeant d’une société de prévoir, dans l’Assemblée Générale précédant la date de fin de son mandat social, le sujet de la désignation/prorogation d’un dirigeant dans l’Ordre du jour.

 

En effet, la sanction parait relativement sévère : « Le président qui, malgré l’arrivée du terme, continue de diriger la société ne peut donc pas se prévaloir d’une reconduction tacite de ses fonctions et devient alors un dirigeant de fait qui, à l’égard de la société, ne peut revendiquer les garanties dont bénéficie le seul dirigeant de droit. »

 

Pour rappel, le dirigeant de fait est titulaire des mêmes obligations qu’un dirigeant de droit, sans avoir les mêmes droits. A titre d’exemple, il ne peut notamment pas se prévaloir d’indemnités de rupture de son mandat, il ne peut pas non plus s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant une délégation de pouvoirs, ce qui est attaché aux dirigeants de droit. En revanche, le dirigeant de fait sera responsable de ses fautes au même titre que le dirigeant de droit.

 

Plusieurs questions se posent :

 

(1) la société est-elle fondée à engager contre le dirigeant de fait une action en répétition de l’indue au titre des rémunérations perçues postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat ?

 

(2) la société, qui poursuit la rémunération du dirigeant postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat, est-elle coupable de travail dissimulé ?

 

(3) la société, qui poursuit la rémunération du dirigeant TNS postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat, est-elle admissible à un redressement URSSAF ?

 

(4) la société peut-elle régulariser par la convocation d’une AG renouvelant le mandat expiré de manière rétroactive ?

 

(5) les actes passés par le dirigeant postérieurement à l’arrivée du terme peuvent-ils être remis en cause par les tiers ?