Fusion : aspects juridiques, opérationnels et fiscaux
1. Introduction rapide
Définition de la fusion et de la scission
Une fusion est une opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transfèrent l’ensemble de leur patrimoine (actif et passif) à une autre société. Une scission est une opération qui consiste pour une société préexistante à transmettre son patrimoine à plusieurs sociétés existantes ou à plusieurs sociétés nouvelles.
Régime juridique des fusions et des scissions
La fusion et la scission sont deux modalités de transmission du patrimoine prévues à l’article 1844-4 du code civil en ces termes : « une société, même en liquidation, peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d’une société nouvelle, par voie de fusion. Elle peut aussi transmettre son patrimoine par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles. Ces opérations peuvent intervenir entre des sociétés de forme différente. Elles sont décidées, par chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification de ses statuts. »
En outre, ces deux opérations sont régies par les articles L. 236-1 et suivants du code de commerce (dispositions communes aux diverses sociétés commerciales – chapitre VI « de la fusion et de la scission »). Ce chapitre est divisé en 4 sections dont la première est consacrée aux dispositions générales (articles L. 236-1 et suivants), la secondes aux sociétés anonymes (articles L. 236-8 et suivants), la troisième aux sociétés à responsabilités limitées (articles L. 236-23 et suivants) et la dernière aux fusions transfrontalières (L. 236-25 et suivants).
Les différents modes de fusion
(1) La fusion-absorption concerne l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés (les sociétés absorbée), transmettent à une autre (la société absorbante), la totalité de leur patrimoine. L’opération consiste en une augmentation de capital par apport en nature pour la société absorbante et en une dissolution sans liquidation, pour la société absorbée, dont les associés vont devenir, grâce à l’émission de nouvelles parts sociales, associés de la société absorbante.
(2) La fusion par constitution d’une société nouvelle concerne l’opération par laquelle au moins deux sociétés (sociétés A et A’) fusionnent pour créer une nouvelle société (société B). Les apports sont rémunérés par les parts émises par la nouvelle société qui devra par ailleurs être constituée en respectant les règles imposées pour la constitution de la structure juridique choisie.
Les effets juridiques de la fusion-absorption sur les sociétés parties au traité de fusion
(1) Dissolution sans liquidation de la société absorbée : la fusion entraîne automatiquement la dissolution de la société absorbée. Celle-ci s’accompagne simultanément de la transmission de son patrimoine à la société absorbante. Cette conséquence est automatique.
(2) Transmission universelle du patrimoine (TUP) de l’entreprise absorbée : la totalité du patrimoine (actif et passif) de l’entreprise absorbée est transférée. Cette transmission de patrimoine se traduit par une augmentation du capital de la société absorbante. Cette augmentation de capital est due à l’apport en nature des éléments d’actifs de l’entreprise absorbée. Les règles relatives aux apports en nature doivent donc s’appliquer. La nomination d’un commissaire à la fusion peut alors s’avérer nécessaire.
(3) L’échange de droits sociaux : les associés acquièrent automatiquement la qualité d’associé de l’entreprise absorbante, dans les conditions fixées par le traité de fusion.
(4) La soulte : en plus de cet échange de droits sociaux, le traité de fusion peut prévoir le versement en espèce d’une somme d’argent appelée « soulte » au profit des associés de la société absorbée. Le montant de cette soulte ne peut dépasser 10 % de la valeur nominale des parts ou des actions attribuées.
(Nb) Quid de la responsabilité pénale : jusqu’à très récemment, les opérations de fusion étaient particulièrement critiquées sur le terrain de la responsabilité pénale en ce que la société absorbante pouvait ne pas être tenue responsable pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion. En effet, lorsque la société absorbée était inquiétée sur le plan pénal pour des faits qu’elle avait commis avant la fusion, il lui suffisait d’être absorbée par une société tierce, sinon sa société mère, pour que sa responsabilité pénale ne puisse plus être recherchée. Or, depuis un arrêt attendu et rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 (n° 18-86.955), la société absorbante peut désormais, sous certaines conditions, être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion.
Les effets juridiques de la fusion-absorption sur les associés
La fusion ne peut s’entendre que comme un échange de droits sociaux pour les associés de la société absorbée. Cela signifie que ces derniers deviennent inévitablement associés de la société absorbante ou nouvelle, suivant l’opération envisagée.
En effet, la société absorbée étant dissoute, ses dirigeants perdent automatiquement leurs fonctions. La fusion entraîne ainsi l’acquisition, par les associés, des sociétés qui disparaissent, de la qualité d’associé des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat (Code de commerce, art. L. 236-3, I).
Les associés de la société apporteuse reçoivent des parts ou des actions de la société bénéficiaire et, éventuellement, une soulte en espèce dont le montant ne peut dépasser 10 % de la valeur nominale des parts ou des actions attribuées, ou, à défaut, du pair comptable de ces titres (Code de commerce, art. L. 236-1, al. 4 ; Code général des impôts, art. 210-0 A).
2. Aspects juridiques et opérationnels de l’opération de fusion
2.1. La phase préparatoire (l’audit)
Audit : définition et objectifs
La réalisation d’un audit est vivement conseillée pour préparer une opération de fusion. Idéalement, l’audit porte sur les aspects sociaux, juridiques, comptables et fiscaux de la fusion.
La réalisation d’un audit juridique a pour objectif d’effectuer un certain nombre de vérification indispensable à la sécurité de l’opération. Idéalement, il s’agit également de vérifier l’opportunité économique de cette opération pour les deux parties.
Sans avoir la prétention d’être exhaustif, voici quelques-uns des points de contrôle importants :
Vérification de la procédure et des délais :
Il convient de dresser un audit complet sur les obligations règlementaires, légales et statutaires. L’objectif est de connaitre en détail la procédure à mener et les délais à respecter pour assurer la sécurité juridique de l’opération. Cette étape permet d’établir le rétroplanning des opérations.
Vérification des contrats en cours :
Il convient de dresser un audit complet sur les contrats en cours. Pour chaque contrat écrit, il convient de vérifier si une clause prévoit une procédure particulière à suivre en cas de fusion. Lorsque le contrat ne prévoit aucune clause, il convient d’examiner, au cas par cas, si le contrat présente par nature un caractère intuitu personae. Le cas échéant, il convient d’obtenir l’accord du cocontractant.
L’audit est donc primordial et permet, en ce sens, de sécuriser les transactions grâce à une vérification préalable de chaque contrat essentiel à l’activité de la société absorbée afin de repérer si de telles clauses ne figurent pas et éviter ainsi de réduire à néant l’intérêt économique de la restructuration.
Vérification du risque contentieux et pénal
Il convient de dresser un audit complet sur le risque contentieux et pénal. En effet, la fusion opère transmission universelle du patrimoine de sorte que la société absorbante hérite du risque contentieux et pénal de la société absorbée. Cet audit permet donc de réaliser les provisions nécessaires et de réajuster la valeur de la société absorbée.
Plus précisément, la vérification porte sur les marchés clients, sur le RH et globalement sur toutes les opérations non prescrites.
2.2. La phase précontractuelle (les négociations)
La formalisation de la phase précontractuelle est vivement conseillée. Le contrat de pourparlers permet d’encadrer la phase des négociations, leur durée et les conditions de leurs ruptures. A ce propos, il est possible de prévoir contractuellement les mesures coercitives ou les sanctions en cas de faute ou de rupture abusive des négociations.
Rappelons que l’opération de fusion est une modalité de transmission d’entreprise. Dans ces conditions, les négociations ont pour but de trouver un accord sur la valeur de la société absorbée. En effet, les sociétés participant à l’opération de fusion doivent faire l’objet d’une évaluation, afin de déterminer la parité d’échange des droits sociaux.
Détermination de la valeur de la société absorbée : il appartient à la société qui va être absorbée de dresser un inventaire exhaustif de son passif et de son actif. Ensuite, il appartient au candidat repreneur d’identifier si le projet de fusion reste intéressant et bénéfique.
A ce stade, l’audit préalable aura permis aux parties d’identifier clairement tous les éléments de l’actif et du passif de la future société absorbée.
Détermination de parité d’échange : il appartient aux parties de déterminer la parité d’échange des droits sociaux. En effet, la fusion ne peut s’entendre que comme un échange de droits sociaux pour les associés de la société absorbée. Cela signifie que ces derniers deviennent inévitablement associés de la société absorbante ou nouvelle, suivant l’opération envisagée. En effet, la société absorbée étant dissoute, ses dirigeants perdent automatiquement leurs fonctions. La fusion entraîne ainsi l’acquisition, par les associés, des sociétés qui disparaissent, de la qualité d’associé des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat (article L. 236-3, I du code de commerce). Les associés de la société apporteuse reçoivent, dès lors, des parts ou des actions de la société bénéficiaire et, éventuellement, une soulte en espèce dont le montant ne peut dépasser 10 % de la valeur nominale des parts ou des actions attribuées, ou, à défaut, du pair comptable de ces titres (article L. 236-1, al. 4 du Code de commerce et 210-0 A du code général des impôts).
2.3. La phase contractuelle (la fusion)
2.3.1. La préparation de l’opération de fusion
Avant toute opération de fusion, les sociétés participant à l’opération doivent faire l’objet d’une évaluation, afin de déterminer la parité d’échange des droits sociaux. Une prime de fusion peut être prévue.
En ce sens, toutes ces sociétés participantes établissent un projet de fusion déposé au greffe du tribunal de commerce du siège desdites sociétés, comprenant des mentions obligatoires[1] qui sont :
1° La forme, la dénomination et le siège social de toutes les sociétés participantes ;
2° Les motifs, buts et conditions de la fusion ou de la scission ;
3° La désignation et l’évaluation de l’actif et du passif dont la transmission aux sociétés absorbantes ou nouvelles est prévue ;
4° Les modalités de remise des parts ou actions et la date à partir de laquelle ces parts ou actions donnent droit aux bénéfices, ainsi que toute modalité particulière relative à ce droit, et la date à partir de laquelle les opérations de la société absorbée ou scindée seront, du point de vue comptable, considérées comme accomplies par la ou les sociétés bénéficiaires des apports ;
5° Les dates auxquelles ont été arrêtés les comptes des sociétés intéressées utilisés pour établir les conditions de l’opération ;
6° Le rapport d’échange des droits sociaux et, le cas échéant, le montant de la soulte ;
7° Le montant prévu de la prime de fusion ou de scission ;
8° Les droits accordés aux associés ayant des droits spéciaux et aux porteurs de titres autres que des actions ainsi que, le cas échéant, tous avantages particuliers.
Ce projet de fusion fait l’objet d’un avis inséré, par chacune des sociétés participant à l’opération au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales[2] et contient les indications suivantes :
1° La raison sociale ou la dénomination sociale suivie, le cas échéant, de son sigle, la forme, l’adresse du siège, le montant du capital et les mentions prévues aux 1° et 2° de l’article R. 123-237 pour chacune des sociétés participant à l’opération ;
2° La raison sociale ou la dénomination sociale suivie, le cas échéant, de son sigle, la forme, l’adresse du siège et le montant du capital des sociétés nouvelles qui résultent de l’opération ou le montant de l’augmentation du capital des sociétés existantes ;
3° L’évaluation de l’actif et du passif dont la transmission aux sociétés absorbantes ou nouvelles est prévue ;
4° Le rapport d’échange des droits sociaux ;
5° Le montant prévu de la prime de fusion ou de scission ;
6° La date du projet ainsi que les date et lieu des dépôts prescrits par le premier alinéa de l’article L. 236-6.
Le dépôt au greffe et la publicité au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ont lieu trente jours au moins avant la date de la première assemblée générale appelée à statuer sur l’opération.
Si la société qui participe à cette opération de fusion est une société par actions, elle met à la disposition de ses actionnaires, au siège social, trente jours au moins avant la date de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur le projet, les documents suivants[3] :
1° Le projet de fusion ou de scission ;
2° Le cas échéant, les rapports mentionnés aux articles L. 236-9 et L. 236-10 lorsque l’opération est réalisée entre sociétés anonymes ;
3° Les comptes annuels approuvés par les assemblées générales ainsi que les rapports de gestion des trois derniers exercices des sociétés participant à l’opération ; dans ce cas, si l’opération est décidée avant que les comptes annuels du dernier exercice clos aient été approuvés, ou moins de trente jours après leur approbation, sont mis à la disposition des actionnaires les comptes arrêtés et certifiés relatifs à cet exercice et les comptes annuels approuvés des deux exercices précédents ainsi que les rapports de gestion.
4° Un état comptable établi selon les mêmes méthodes et suivant la même présentation que le dernier bilan annuel, arrêté à une date qui, si les derniers comptes annuels se rapportent à un exercice dont la fin est antérieure de plus de six mois à la date du projet de fusion ou de scission, doit être antérieure de moins de trois mois à la date de ce projet ou, le cas échéant, le rapport financier semestriel prévu à l’article L. 451-1-2 du code monétaire et financier, lorsque celui-ci est publié. Dans le cas où le conseil d’administration ne les a pas encore arrêtés, l’état comptable mentionné ici et les comptes annuels approuvés des deux exercices précédents ainsi que les rapports de gestion sont mis à la disposition des actionnaires.
En cas d’apport comprenant des immeubles ou droits immobiliers, les sociétés participantes doivent déposer le projet de fusion au rang des minutes d’un notaire en vue de la réalisation d’une formalité de publicité foncière.
C’est là encore l’intérêt d’avoir réalisé un audit juridique préalable sérieux et d’être accompagné dans cette opération délicate qu’est la fusion. En effet, le rapport d’audit permet d’identifier pour chaque élément d’actif et de passif transmis les formalités à accomplir.
2.3.2. La réalisation de l’opération de fusion : la transmission définitive
Une fois le projet de fusion mis en place, il est ensuite approuvé par l’assemblée générale extraordinaire de chacune des sociétés qui participent à l’opération.
En effet, la fusion requiert une décision collective des associés de chacune des sociétés participantes, dans les conditions requises pour la modification de ses statuts. Toutefois, notons que, si l’opération projetée a pour effet d’augmenter les engagements d’associés de l’une ou de plusieurs sociétés en cause, elle ne peut être décidée qu’à l’unanimité desdits associés.
Ces assemblées générales extraordinaires ont pour objet, dans la société absorbée, de décider de la fusion et de la dissolution sans liquidation et, dans la société absorbante, de la fusion et de la modification corrélative des statuts.
A la suite de cette assemblée générale extraordinaire, les sociétés participantes établissent des procès-verbaux d’AGE.
S’il est relevé un défaut dans l’une des délibérations de l’une des assemblées qui ont décidé l’opération ou un défaut de dépôt de la déclaration de conformité, la nullité de la fusion peut être prononcée (article L. 235-8 du code de commerce). En ce sens, lorsqu’il est possible de porter remède à l’irrégularité susceptible d’entraîner la nullité, le tribunal saisi de l’action en nullité de la fusion accorde aux sociétés intéressées un délai pour régulariser la situation.
La fusion prendra effet en cas de création d’une ou plusieurs sociétés nouvelles, à la date d’immatriculation, au registre du commerce et des sociétés, de la nouvelle société ou de la dernière d’entre elles. Dans les autres cas, à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération sauf si le contrat prévoit que l’opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine.
2.4. La phase post-contractuelle (enregistrement – publicité – gestion du séquestre)
Postérieurement à la fusion, les sociétés participantes sont débitrices de nombreuses obligations formelles.
D’abord, elles doivent déposer au greffe deux exemplaires de la déclaration dans laquelle sont répertoriés tous les actes effectués dans le cadre de l’opération et par laquelle elles affirment que l’opération a été réalisée en conformité avec la réglementation ; deux exemples du projet de fusion ; deux exemplaires et copies certifiées conformes par le gérant et enregistrés du procès-verbal de l’AGE de la société absorbée ; deux exemplaires et copies certifiées conformes par le gérant et enregistrés du procès-verbal de l’AGE de la société absorbante ; deux copies certifiées conformes par le gérant des statuts modifiés de la société absorbante.
Ensuite, il leur appartient d’enregistrer l’acte au Service de la publicité foncière et de l’enregistrement compétent. C’est à cette occasion que la société absorbante s’acquitte des droits d’enregistrement et qu’elle déclare la fusion des sociétés au fisc, dans un délai d’un mois à compter de leur date.[4]
Elles doivent assurer la publicité de la fusion et des modifications statutaires pour la société absorbante, ainsi que, la publication d’un avis de dissolution sans liquidation pour la société absorbée, dans un journal d’annonce légale et au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
Enfin, la société absorbante doit effectuer une inscription modificative au Registre du commerce et des sociétés en présentant un Kbis des sociétés participant à la fusion, un exemplaire du journal d’annonce légal portant avis de fusion et modification des statuts. Tandis que la société absorbée doit faire de même, en apportant un Kbis ainsi qu’un exemplaire du journal d’annonce légal portant avis de dissolution sans liquidation.
3. Aspects fiscaux des opérations de fusion
Fiscalement, il coexiste deux régimes, un de droit commun, l’autre, spécial, de faveur.
3.1. Le régime fiscal de droit commun
Le régime de droit commun tire simplement les conséquences de l’ensemble des opérations qui se succèdent dans le cadre d’une fusion : dissolution puis apport.
Ainsi, à l’occasion de la dissolution, les plus-values latentes sont immédiatement imposées, ainsi que les éventuelles provisions qui auraient été inscrites. Pour autant, si la société absorbée détient des déficits reportables, le régime de droit commun peut être particulièrement intéressant en ce que ces derniers pourront être imputées sur les plus-values issues de la fusion, ainsi que les bénéfices en sursis d’imposition. En effet, dans le cas contraire, les déficits seront perdus, puisqu’ils ne pourront être imputés sur le résultat bénéficiaire de la société absorbante en l’absence d’un agrément (quand bien même, depuis le 1er janvier 2020, sous certaines conditions, certaines opérations sont dispensées d’agrément).
3.2. Le régime fiscal de droit spécial
Pour autant, le régime spécial est quasi-systématiquement préféré au régime de droit commun, en ce qu’il permet une neutralité fiscale pour l’opération de fusion.
Plusieurs conditions doivent être impérativement respectées, sans quoi le premier contrôleur fiscal pourra remettre en cause l’ensemble de l’opération et recomposer la base imposable avec l’ensemble des plus-values et autres produits mis en sursis lors de la fusion. Dans tous les cas, il est possible d’interroger l’Administration fiscale, laquelle dispose d’un délai de six mois pour répondre à la possibilité de bénéficier du régime spécial, l’absence de réponse dans ce délai valant accord.
Du côté de la société absorbée, si les conditions sont réunies, les plus-values et autres profits sont exonérés d’impôt sur les sociétés, sous réserve du respect de certaines obligations déclaratives. De plus, les provisions dont l’objet continue d’exister malgré la fusion peuvent être reprises au bilan. Cela signifie que les provisions sans objet sont immédiatement imposables, nonobstant le régime de faveur.
Du côté de la société absorbante, l’exonération d’impôt sur les sociétés n’est acquise qu’à condition de bien respecter ces reprises au bilan. De plus, les sociétés participantes doivent souscrire, au moment de la fusion, un état de suivi des plus-values d’apport ; la société absorbante devant nécessairement y souscrire jusqu’à l’apurement total de l’imposition des plus-values. Par ailleurs, l’absorbante doit se substituer à l’absorbée pour réintégrer les bénéfices en sursis d’imposition.
Enfin, si les apports sont évalués à leur valeur comptable, la société absorbante doit continuer d’amortir les immobilisations amortissables à partir de la même valeur d’origine et selon les mêmes annuités prévues dans le plan d’amortissement initial. Si les biens sont évalués à leur valeur réelle, l’absorbante aura alors la possibilité d’opter pour l’application d’un taux dégressif calculé selon la durée probable d’utilisation, appréciée à la date de la fusion.
Concernant les charges, seules sont déductibles celles qui n’étaient ni connues ni prévisibles pour la société absorbante au moment de l’opération de fusion.
La levée de fonds : aspects juridiques, opérationnels et fiscaux
1. Introduction rapide
Définition de la levée de fonds
La levée de fonds est un mode de financement qui consiste à rechercher des investisseurs ou institutions susceptibles d’investir au capital social d’une société avec des conditions de sorties prédéfinies. En contrepartie de titres, les investisseurs apportent des fonds à la société. Cette technique de financement concerne surtout les entreprises innovantes et les startups à fort potentiel et développement. Les investisseurs s’intéressent à la valeur de l’entreprise et ont pour objectif de réaliser une forte plus-value lors de la revente de leurs titres.
L’expression « capital investissement » a remplacé, en France, celle de « capital-risque ». En effet, le « capital risque », était initialement défini comme « l’investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres, dans des sociétés non cotées en Bourse, y compris les opérations de création et de transmission des entreprises ». Ces deux lois qui d’ailleurs avaient permis de créer respectivement les fonds communs de placement à risque (FCPR) et le régime fiscal particulier des Sociétés de capital-risque (SCR). En réalité cette définition est lacunaire puisqu’elle omet la réalité économique de cette notion et est une définition purement juridique destinée à l’application des régimes créés par ces lois.
Le capital investissement est un réel métier qui consiste en la prise de risque pour un investisseur en capital, qui accepte de devenir actionnaire d’une société non cotée dont il n’assure pas la direction, mais qu’il assiste de sa compétence technique et sur la gestion de laquelle il exerce un contrôle plus ou moins important, en vue de réaliser, à terme, un profit sous la forme d’une plus-value sur cession de sa participation.
Le terme générique de capital-investissement recouvre en réalité plusieurs types d’intervention, selon le stade de développement de l’affaire financée. Il peut apparaître à tout moment de la vie de l’entreprise : sa phase de création, de développement ou encore en phase de transmission ou de retournement.
Ainsi chronologiquement l’investissement peut apparaître comme suit :
Les différents modes de levée de fonds
(1) Avant le lancement de l’entreprise : par le biais d’un capital-risque ou encore appelé capital-innovation qui comprend :
* Avant la création de l’entreprise : Le capital-amorçage, ou seed capital, ou encore capital-faisabilité : il s’agit du financement d’un entrepreneur qui a besoin de prouver la faisabilité de son idée ou de se faire aider pour son business plan. On se trouve ici au niveau de la mise au point ou de la finalisation du prototype, bien avant la création de l’entreprise.
* Pendant la création de l’entreprise: Le capital – création ou startup capital : ce financement intervient à la phase de création de l’entreprise, du développement du produit jusqu’à son lancement industriel et commercial.
* Pendant le développement d’un produit : Le capital post-création : il intervient pendant la phase où l’entreprise, ayant achevé le développement d’un produit, a besoin de capitaux pour en démarrer la fabrication et la commercialisation. Il se distingue donc du capital-création à proprement dit.
(2) Pendant le développement de l’entreprise :
* Pendant le développement de l’entreprise : Le capital-développement : les fonds investit ont pour but d’augmenter les capacités de production, la force de vente, de développer de nouveaux produits, financer des acquisitions et/ou accroître le fonds de roulement de l’entreprise. On se trouve ici, dans une phase où l’entreprise a déjà atteint son seuil de rentabilité et/ou dégage des profits. Cet investissement permet aussi à l’entreprise qui a atteint sa maturité et se trouvant donc à un stade où l’enjeu est désormais de changer d’échelle, de pouvoir le faire aisément (dit scale-up).
* Pour l’acquisition d’une entreprise déjà établie : Le capital-transmission : ici, l’investissement est apporté soit par une nouvelle équipe (management buy-in), par la direction (management buy-out) ou encore par le/les héritiers d’une entreprise familial, afin de permettre l’acquisition d’une entreprise déjà établie. Cette acquisition, se réalise via une holding de reprise avec l’aide d’un endettement (LBO ou leverage Buy-Out).
Notons que, parfois, le LBO est au service d’une stratégie dite de « build-up », c’est-à-dire, la création de synergies au moyen d’opérations de croissance externe (rachats d’entreprise déjà existantes). En effet, les opérations de LBO s’inscrivent dans le cadre plus général de ce qu’on appelle fusion-acquisition ou encore appelé « Mergers and Acquisitions ». Ces opérations de fusions-acquisitions consistent en l’acquisition d’une position majoritaire par achats d’actions. C’est précisément de cette manière que se réalise les transactions de capital-transmission, même si on peut dire que les techniques employées dans le domaine des fusions-acquisitions sont variées et s’enrichissent notamment des échanges d’actions et des fusions, au sens juridique du termes, c’est-à-dire, par la réunion des patrimoines.
Outre cette technique d’acquisition d’une position majoritaire par l’achat d’actions au sein d’une entreprise déjà bien établie, on peut aussi évoquer la technique qui consiste à racheter des parts de position minoritaire. Ici, l’investisseur rachète la participation d’un ou plusieurs associés ou actionnaires de la société cible, qui peuvent être eux-mêmes des capital-investisseurs. Dans ce cas de figure, il s’agit, en quelque sorte, d’une prise de relais.
* Pour les entreprises en difficultés :
Le capital-retournement : lorsque l’entreprise rencontre des difficultés il peut avoir besoin de financement pour se relever. Cet investissement n’est possible que lorsque ces difficultés rencontrées ne mettent pas en cause le business model ni les fondamentaux du marché de l’entreprise. L’investissement dans ce cas de figure, permet à l’investisseur de prendre une position dans l’entreprise, en générale majoritaire, et implique un changement de l’équipe managériale, pour permettre de relancer l’entreprise et un retour à meilleure fortune.
Aujourd’hui, le capital-investissement n’est plus une simple technique de financement, c’est un réel modèle économique et un modèle de gouvernance qui contribue à la relève de l’esprit d’entreprise en France. En effet, il permet de combler un besoin essentiel pour les PME et les startups innovantes. En ce sens, il leur permet de financer leur croissance et constitue dès lors, un moteur essentiel du renouvellement du tissu économique et de la création d’emplois.
Dès lors deux questions se posent: d’abord, celle de savoir qui peut bénéficier de cette technique de levée de fonds, ensuite, celle de savoir qui peut financer une entreprise par le biais de cette technique.
Qui peut bénéficier de cette technique ? Les entrepreneurs.
Le terme entrepreneur peut s’entendre comme désignant, de façon générique, et selon les cas :
– Les détenteurs d’un projet d’entreprise à réaliser
– Les représentants légaux d’une société existante dont l’activité est de développer ou de poursuivre l’entreprise malgré la sortie de l’actionnaire
– Les acquéreurs d’une société en transmission
Qui peut financer ces entreprises ? Des partenaires ou des investisseurs.
Le capital-investissement permet donc à des entreprises qui se trouvent dans le besoin d’augmenter leur capital social, de bénéficier d’un financement. Ce financement par la levée de fonds peut s’effectuer par deux types d’acteurs : des partenaires (1) ou des investisseurs (2).
* Les partenaires :
Il existe plusieurs partenaires, s’entendant comme des organismes ayant pour objet l’accompagnement du financement par le biais du capital-investissement. Un accompagnement tant à l’égard des investisseurs que des entrepreneurs. On peut en citer deux biens connus, parmi d’autres :
France Invest (ex-Afic) qui est une association ayant pour objectif de fédérer les différents métiers du capital-investissement au sein d’un organisme professionnel indépendant chargé d’offrir un cadre à cette activité précise. Elle regroupe la majorité des structures française de capital-investissement.
Bpifrance création et Bpifrance développement qui sont des organismes permettant l’accompagnement des entrepreneurs dans leur création et/ou développement de leur entreprise. Outre les investissements qu’ils peuvent apporter, ils sont aussi un objectif de faciliter l’entrepreneuriat pour tous en levant les barrières à l’information notamment, au financement et à la croissance des entreprises.
* Les investisseurs :
Un opérateur en capital-investissement est un organisme qui effectue des investissements en fonds propres dans des entreprises non cotées. Ainsi, il peut s’agir d’un organisme opérant avec ses fonds propres personnels ou qui, gérant de l’épargne à long terme, cherchera à la faire fructifier en l’investissant.
Entre autres, différents types d’apporteurs de fonds peuvent être distingués :
– Des banques
– Les particuliers (business angels et family offices)
– Des industriels
– Des fonds souverains
– Les marchés financiers
– Les caisses de retraites
– Les compagnies d’assurance (et autres mutuelles)
– Les fonds de fonds
Pour résumer, il existe deux types d’investisseurs : des investisseurs publics et des investisseurs privés.
Exemples d’investisseurs publics :
Bpifrance qui a pour objectif l’investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des PME et des ETI françaises. En ce sens, il y a une prise de participation au capital de l’entreprise, généralement en tant qu’actionnaire minoritaire aux côtés d’autres actionnaires familiaux, industriels ou financiers. L’intervention de Bpifrance peut également prendre la forme de quasi-fonds propres, sous forme d’obligations convertibles ou d’obligations à bons de souscription d’actions par exemple. En échange d’une détention longue, à horizon 5 à 7 ans, voire davantage des parts de la société financée et leur présence dans la gouvernance de la société (conseil de surveillance, conseil d’administration) ou dans des comités stratégiques. Outre ce capital apporté, il y a un apport à l’entreprise d’un accompagnement du management et un réseau de contacts.
Exemples d’investisseurs privés :
Les business angels sont des personnes physiques disposant d’une épargne et qui décident de participer au financement avec leur fonds propre des PME non cotées. L’association France Angels donne la définition suivante ainsi : « un business angel est une personne physique qui investit une parte de son patrimoine dans une entreprise innovante à potentiel et qui, en plus de son argent, met gratuitement à disposition de l’entrepreneur, ses compétences, son expérience, ses réseaux relationnels et une partie de son temps ».
Le fonds de fonds est une activité qui consiste à prendre des participations, non pas directement dans l’entreprise, mais dans des fonds d’investissement. Dès lors, il est possible de créer de tels fonds sous forme de Fonds commun de placement à risque (FCPR) et les parts de FCPR sont prises en compte dans le calcul des quotas juridiques et fiscaux, ce qui permet une mutualisation des risques et une amélioration de la liquidité du capital-risque.
Les marchés financiers sont une possibilité offerte aux entrepreneurs qui cherchent un financement malgré le fait que leur entreprise opère dans le domaine du non -ôté. En effet, ces entreprises peuvent très bien rechercher sur les marchés financiers le financement dont elles ont besoin, et ce de deux manières : (1) en introduisant en bourse les actions de la société de gestion elle-même ; (2) ou en obtenant en Bourse un financement et de faire coter les fonds d’investissement eux-mêmes, dans ce cas, les levées de fonds sont effectuées sur le marché et non pas de gré à gré. Cette deuxième option est intéressante, en ce sens qu’elle permet d’avoir accès à de nouveaux investisseurs et que le financement dégagé n’est pas tributaire de levée de fonds successives, de sorte que les investisseurs peuvent ainsi aisément liquider leur placement. L’inconvénient majeur se trouve dans le fait que ces fonds ont un caractère public, ce qui risque de conduire à l’entrée d’actionnaire non désirés au sein de la société, ce qui favorise un activisme déstabilisateur de la gestion.
L’intérêt de la levée de fonds en pratique
Pendant la phase de création ou la phase de développement, les entreprises – surtout les startups – ont quasiment toujours besoin de financement. Dès lors, le recours à cette technique, parmi tant d’autres (prêts bancaires, capital-risque, aides ou subventions publiques, crowdfunding…) paraît opportun.
La grande force de ce mode de financement est dans le fait que l’entreprise augmente son capital social par l’apport d’investisseurs extérieurs sans avoir à rembourser cet argent à la fin. En sus de cet apport financier, les investisseurs peuvent mettre à disposition leur réseau et augmenter les opportunités, puisque très souvent ceux-ci sont eux-mêmes entrepreneurs ou ex-entrepreneurs. Ils disposent d’une bonne vision de l’entrepreneuriat, du fonctionnement des entreprises et d’un carnet d’adresses conséquent. Ce sont de réels partenaires qui apportent à la fois un conseil et un réseau à l’équipe fondatrice. Cela accroit donc de manière considérable les chances de développement de ces entreprises sur du long terme.
Ainsi, cette technique est, sur ce point, largement plus intéressante que les prêts bancaires par exemple. En effet, la levée de fonds vise les projets innovants qui nécessitent des besoins conséquents et étalés dans le temps. Si l’entreprise sollicite un prêt bancaire à cette fin, le remboursement du prêt consenti serait une charge beaucoup trop lourde pour son modèle économique, surtout en phase de démarrage, ce qui réduirait à néant ses chances de développement. Sans compter le fait que, la participation des banques sur ce type de projet est parfois très difficile à obtenir (garanties exigées, apport personnel devant atteindre au moins 30% des besoins de l’entreprise pour obtenir un prêt…). En ce sens aussi, notons que les banques ont tendance à refuser le financement des besoins des entreprises qui ne sont pas amortissables, tels que les frais de communication au démarrage, frais de développement et de recherche par exemple, alors que ce sont typiquement les besoins essentiels des entreprise innovantes ayant un fort potentiel.
Par conséquent, on peut aisément penser que la levée de fonds est une technique réellement opportune pour ces entreprises dans ces cas de figures. Ceci étant posé, il convient d’apprécier les aspects juridico-économiques de cette opération (2) et les aspects fiscaux (3).
2. Aspects juridiques et opérationnels de l’opération de fusion
La levée de fonds est une opération non seulement financière mais aussi juridique. Il est important d’accomplir des formalités bien précises, que ce soit avant ou après l’opération, pour protéger les intérêts des fondateurs de la société, ceux des investisseurs et de la société elle-même.
En effet, la levée de fonds est une opération juridique à haut risque pour les fondateurs d’une entreprise comme pour les investisseurs. Certains montages juridiques permettent d’optimiser les montants levés notamment grâce à un effet de levier financier, mais aussi de couvrir en partie le risque pris, ce que nous détaillerons ci-après.
L’expérience démontre que, bon nombre de créateurs, startuppers, se retrouvent dans des situations fortement délicates quelques années après la levée de fonds car ils ont minimisé les conséquences des accords pris avec leurs investisseurs. Ceci notamment dans la rédaction des contrats et statuts de certaines clauses qui leur ont été préjudiciables sur le long terme.
En ce sens, il est fortement recommandé de se faire accompagner par un conseiller juridique compétent et un expert-comptable qui pourront apporter un avis sur la faisabilité des objectifs fixés dans les accords pris entre les parties. Cela permettra de sécuriser juridiquement au mieux les transactions puisque l’avocat aura une particulière attention lors de la négociation et de la rédaction de ces actes, notamment s’agissant des clauses mentionnant la répartition des actions, les conditions de sortie, les obligations réciproques, les comptes courants d’associés, les fonds propres, les droits de vote, etc.
Nonobstant cette protection juridique, il convient de s’entourer de professionnel compétent afin de négocier au mieux ces opérations de levées de fonds. Cet accompagnement est primordial dès la constitution de ce projet. En effet, la première chose à faire lorsqu’on envisage d’ouvrir son capital social à des investisseurs est de vérifier la solidité de son business plan, savoir valoriser son entreprise, son savoir-faire tout en démontrant son fort potentiel et l’innovation que ce projet apporte.
Après avoir mis en place cette valorisation, l’entrepreneur doit assurément démontrer que son entreprise est en ordre d’un point de vue juridique. A cette fin, il est fortement conseillé de revoir les statuts mais aussi les contrats en cours (contrats de travail, de partenariats, d’achats, brevets, dépôt de propriété…).
En outre, il faut convaincre que l’argent de ces investisseurs servira de levier pour créer de plus gros bénéfices sans craindre de potentiels perturbations. Dès lors, l’accomplissement d’un audit semble incontournable.
1.1. La phase préparatoire (l’audit)
Audit : définition et objectifs
La réalisation d’un audit est vivement conseillée pour préparer une opération de levée de fonds, l’audit porte sur les aspects sociaux, juridiques, comptables et fiscaux.
La réalisation d’un audit juridique a pour objectif d’effectuer un certain nombre de vérification indispensable à la sécurité de l’opération. Idéalement, il s’agit également de vérifier l’opportunité économique de cette opération pour les deux parties.
Sans avoir la prétention d’être exhaustif, voici quelques-uns des points de contrôle importants :
Vérification de la procédure et des délais :
Il convient de dresser un audit complet sur les obligations règlementaires, légales et statutaires de l’entreprise. L’objectif est de connaitre en détail la procédure à mener pour cette levée de fonds et les délais à respecter pour assurer la sécurité juridique de l’opération. Cette étape permet d’établir le rétroplanning des opérations.
Vérification des contrats en cours :
Il convient de dresser un audit complet sur les contrats en cours. Pour chaque contrat écrit, il convient de vérifier si une clause prévoit une procédure particulière à suivre.
L’audit est donc primordial et permet, en ce sens, de sécuriser les transactions grâce à une vérification préalable de chaque contrat essentiel à l’activité de la société afin de repérer si des défaillances ne figurent pas et éviter ainsi de réduire à néant l’intérêt économique de l’opération.
Vérification du risque contentieux et pénal
Il convient de dresser un audit complet sur le risque contentieux et pénal. En effet, la levée de fonds opère l’entrée des investisseurs dans la société de sorte que ces derniers, en tant qu’associés, héritent du risque contentieux et pénal de la société. Cet audit permet donc de réaliser les provisions nécessaires et de réajuster la valeur de la société.
Plus précisément, la vérification porte sur les marchés clients, sur le RH et globalement sur toutes les opérations non prescrites.
1.2. La phase préparatoire (la présentation du projet)
Après avoir effectué cet audit et avant de monter le dossier juridique pour la réalisation finale de la levée de fonds, il convient de préparer un projet aux fins de présentation devant les futurs investisseurs.
Pour ce faire, il est indispensable que l’entreprise réfléchisse à sa stratégie sur le long terme. Il faut donc qu’elle ait une vision globale, claire et objective afin de pouvoir expliquer l’intérêt de la levée de fonds pour l’entreprise et l’intérêt qu’ont les investisseurs à croire en ce projet.
A cette fin, l’entreprise doit se poser, entre autres, trois questions fondamentales :
Que ce soit au début de sa création ou pendant son développement, l’entreprise a-t-elle vraiment besoin de cet argent ?
Au regard de l’étendue de l’échange qu’apporte cette levée de fonds, à savoir de l’argent contre des titres de la société, l’entreprise a-t-elle pris conscience des conséquences sur elle de cette opération ?
Quelle stratégie de sortie l’entreprise souhaite proposer aux investisseurs ?
Après avoir pris pleinement conscience des enjeux lors de ce questionnement fondamental, l’entreprise doit monter son projet et business plan. En effet, l’entrepreneur devra présenter son projet détaillé à un groupe d’investisseurs qu’il aura préalablement sélectionné.
Cette phase préparatoire comprend plusieurs étapes :
(1) La rédaction d’un executive summary
Le business plan ne peut être mis en place que lorsque que l’intérêt pour le projet de l’entreprise est déjà marqué. Dès lors, il faut rédiger préalablement l’executive summary qui est par définition un résumé du projet permettant justement de susciter l’intérêt des investisseurs en un minimum de temps. C’est en quelque sorte le CV de l’entreprise. Il doit attirer l’attention et l’intention. Il doit donner envie à un investisseur potentiel d’en savoir plus sur le projet et de proposer un entretien. C’est en outre, un véritable outil marketing.
(2) La mise en place d’un business plan
Après avoir rédigé l’executive summary, il faut mettre en place un business plan. Le business plan est obligatoire pour une opération de levée de fonds. Il s’agit d’un document de pilotage et de démonstration permettant de mettre en lumière le succès futur d’un projet précis. Il permet de démontrer que le projet entrepris va créer de la valeur de manière pérenne.
Le but étant de convaincre d’investir dans ce projet, le business plan devra comporter trois objectifs principaux à détailler : la viabilité, la rentabilité et la stratégie sur du long terme du projet.
En effet, pour réussir à séduire l’investisseur, le porteur de projet doit se montrer convaincant et être capable de prouver qu’il y a un fort potentiel de développement et que l’argent servira de levier pour créer de plus gros bénéfices.
(3) L’identification des investisseurs ou des fonds
Une fois le projet rédigé, il convient donc de le présenter à des investisseurs. Lors de la publication de l’executive summary, certains investisseurs pourront prendre contact directement avec le porteur de projet, dans d’autres cas de figure, le porteur de projet devra aller chercher lui-même les investisseurs.
A cette fin, il convient donc de préparer une présentation globale avec un power-point et un pitch. Il faut cibler les investisseurs en fonction du projet. En effet, il est pertinent de rechercher des investisseurs compétents en la matière et donc de les sélectionner en fonction de leurs secteurs d’activité, du type d’entreprise dans lesquelles ils ont déjà investi et regarder le stade de développement de ces entreprises, d’apporter une attention particulière au montant qu’ils sont capables d’apporter, etc.
Comme dit, l’investisseur est un atout en ce sens qu’il apporte à la fois des financements qui ne sont pas remboursables, et un réseau, un savoir-faire, une expertise. Dès lors, sa personnalité, son expérience et ses ambitions sont des critères à prendre en considération. En échange de sa participation financière il obtient des titres de la société donc devient par ricochet un associé. Il serait intelligent de ne pas omettre ce détail fondamental.
En pratique, dans la recherche d’investisseurs, les opérations de levée de fonds fonctionnent souvent par « tour de table », ce qui signifie que le projet est soumis à un premier groupe d’investisseurs qui vont montrer leur potentiel intérêt au projet, ou non, puis un second tour avec un groupe plus restreint qui se crée, comprenant les investisseurs les plus intéressées pour approfondir les modalités de l’opération de levée de fonds, etc.
Lorsque la réponse d’un investisseur est positive, celui-ci entame une étape d’analyse de projet et de « due diligences »
(4) Les Due Diligences
Le due diligence est un ensemble d’analyses, vérifications et identifications réalisés par l’investisseur avant d’effectuer l’opération de levée de fonds. Cela lui permet d’avoir une idée de la situation précise de l’entreprise avant de se prononcer définitivement sur son investissement.
C’est à ce moment précis que l’audit établit préalablement grâce à un avocat et un expert-comptable trouve toute sa pertinence. En effet, il permettra de conforter l’investisseur dans sa prise de décision et permettra des négociations plus solides.
1.3. La phase précontractuelle (les négociations)
La formalisation de la phase précontractuelle est vivement conseillée. Le contrat de pourparlers permet d’encadrer la phase des négociations, leur durée et les conditions de leurs ruptures. A ce propos, il est possible de prévoir contractuellement les mesures coercitives ou les sanctions en cas de faute ou de rupture abusive des négociations.
Rappelons que l’opération de levée de fonds est une modalité d’augmentation du capital par des apports extérieurs et donc l’entrée de nouveaux associés. Dans ces conditions, les négociations ont pour but de trouver un accord sur la valeur de la société. En effet, la société doit faire l’objet d’une évaluation, afin de déterminer les titres qui seront cédés.
Détermination de la valeur de la société :
Il appartient à l’entreprise qui souhaite bénéficier de la levée de fonds de dresser un inventaire exhaustif de son passif et de son actif. Ensuite, il appartient au candidat investisseur d’identifier si le projet reste intéressant et bénéfique.
A ce stade, l’audit préalable aura permis aux parties d’identifier clairement tous les éléments de l’actif et du passif de la société.
Détermination des titres cédés :
Il arrive que certains organismes de capital-investissement prennent des participations majoritaires, voire quasi-exclusives, dans certaines entreprises. Toutefois, cette technique de levée de fonds consiste le plus souvent à prendre une participation minoritaire dans une société dont les majoritaires jouissent de la confiance des investisseurs. Dans la majorité des cas, ainsi, les investisseurs détiennent moins de la moitié des droits de vote et du capital social.
En ce sens, l’investisseur, en échange d’un financement reçoit des titres de la société. Il acquiert de ce fait la qualité d’associé de la société. Dès lors, en fonction de la valeur de la société ainsi que du montant du financement apporté, il conviendra de négocier les titres qu’il recevra.
La protection des associés fondateurs face au risque de dilution des droits :
En effet, l’apport des fonds par des investisseurs donc des tiers à la société a pour effet de diluer les droits des associés fondateurs puisqu’elle entraîne l’intégration de nouvelles personnes au sein de la gestion de la société. Il convient donc de protéger les associés fondateurs et notamment les associés minoritaires. Ainsi, l’intermédiaire d’un avocat dans le déroulement des négociations semble fondamental puisqu’il sera apte à négocier plusieurs moyens permettant la protection des associés fondateurs et plus spécifiquement des associés minoritaires qui risque d’être lésés par la dilution de leurs droits.
(1) La négociation d’une clause anti-dilution dans un pacte extrastatutaire
Définition et rôle : La clause d’anti-dilution (ou de non-dilution) est « la clause par laquelle un actionnaire (ou groupe d’actionnaire) majoritaire s’engage à garantir, contractuellement, ou parfois statutairement, à un actionnaire minoritaire ne détenant pas de minorité de blocage le maintien de son niveau de participation en capital et/ou en droit de vote au sein de la société » (J. Mestre, F. Buy, M. Lamoureux, J-C. Roda, Les principales clauses des contrats d’affaires, 2e ed., LGDJ Lextenso, 2019). Autrement dit, la clause d’anti-dilution est le pacte (garantissant) au bénéficiaire le maintien de sa participation.
Ainsi, cette clause offre une protection aux actionnaires minoritaires et leur permet de garantir le maintien de leur pourcentage de participation dans la société en cas d’augmentation de capital.
Validité de cette clause : Les clauses d’anti-dilution sont valables et leurs effets dépendant du mécanisme d’anti-dilution retenu par les parties. A titre d’exemple, ce sens, la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 27 mars 2014 (n°13/06816), Lavarec c/ Sté Communications intégration industries, a jugé que la clause d’anti-dilution d’un pacte d’actionnaires qui octroyait à son bénéficiaire un droit permanent au maintien de sa participation à hauteur de la quotité du capital qu’il détenait lors de son entrée dans le capital de la société, avait été violée par les autres associés qui avaient évincé le bénéficiaire de la clause en réservant à un tiers l’augmentation du capital ayant suivi la réduction à zéro du capital de la société dans le cadre d’un « coup d’accordéon ».
Limites de la clause anti-dilution : L’efficacité de ce mécanisme, que la clause soit statutaire ou autrement contractuelle, peut être limitée ou neutralisée par application de la loi.
D’abord, avec force évidence parce que ces clauses ne sauraient justifier des comportements contrevenant à l’intérêt social, que ce soit pour abus de majorité, abus de minorité, ou encore pour fraude. S’agissant de l’efficacité d’une clause de non-dilution en présence d’un coup d’accordéon, il faut noter que « la question du conflit entre l’intérêt social et le pacte extrastatutaire comprenant une clause d’anti-dilution pourrait toutefois se poser avec acuité lorsque l’investisseur susceptible d’apporter les sommes nécessaires à la survie de la société subordonne son investissement au fait d’être le seul associé à l’issue de l’opération (…) » (V. en ce sens, S. Sylvestre, De l’efficacité d’une clause de non-dilution en présence d’un coup d’accordéon, Rev. Sociétés. 2015), ce qui constitue en l’occurrence une fraude répréhensible.
Ensuite, parce que certaines lois spéciales imposent ou permettent au juge d’imposer la dilution de la participation d’un actionnaire en particulier notamment dans le cadre de procédures collectives. Ainsi, c’est ce qui devrait rendre les clauses anti-dilution inapplicables. Il semble en effet probable, en ce sens, que si le minoritaire entre dans le champ d’application de l’article L. 631-19-2 et L. 653-9 du Code de commerce, le tribunal pourra lui imposer la cession forcée de tout ou partie de ses titres ce qui aura, selon nous, pour effet de rendre inefficace la clause d’anti-dilution stipulée à son profit (V. en ce sens, J.Mestre et D. Velardocchio, n°2573, I. Parachkevova, L’augmentation de capital foxée dans la loi Macron, BJS 1er oct. 2015, n°10, p. 529 et s. ; V. egl. R. Dammann et F-X. Lucas, le nouveau dispositif de dilution ou d’éviction de l’associé qui ne finance pas le plan de redressement de la société, BJS 1er oct. 2015, n°10, p. 521 et s.).
Autres mécanismes possibles à envisager dans un pacte extrastatutaire : De nombreux mécanismes hybrides, mêlant droit des contrats et droit des sociétés, peuvent également être envisages pour protéger le minoritaire et lui permettre de maintenir son niveau de participation. Par d’exemple, on pourrait imaginer que la promesse de cession ne puisse être activée qu’en cas de manquement par le majoritaire à son engagement de maintenir le droit préférentiel de souscription du minoritaire ou plus généralement de mettre le minoritaire en mesure de maintenir sa participation. De même, le minoritaire pourrait obtenir du majoritaire qu’il s’engage à lui céder autant de droits préférentiels de souscription que de besoin pour maintenir son potentiel de souscription et, par voie de conséquence, son niveau de participation. Il pourrait encore être prévu, pour satisfaire aux droits du minoritaire, que la suppression du droit préférentiel de souscription ne soit que partielle et lui réserve donc la possibilité d’exercer son droit, ou encore que l’augmentation de capital réservée soit conditionnée à la réalisation d’une augmentation de capital subséquente au profit du minoritaire, etc.
(2) La mise en valeur et l’application du droit préférentiel de souscription et de la prime d’émission
Définition et utilité du droit préférentiel de souscription
Le droit préférentiel de souscription (DPS) est le droit conféré à un associé de souscrire par priorité (on dit souvent « à titre irréductible ») une augmentation de capital en numéraire de sa société, proportionnellement à sa participation actuelle dans le capital social. Il s’agit d’un mécanisme anti-dilution qui a pour objectif de permettre aux associés déjà en place de maintenir leur pourcentage en participation actuelle dans le capital augmenté et donc par ailleurs, leur pourcentage en droits pécuniaires (quote-part de l’actif net revenant à chaque action et dividendes) et en droit de vote.
Le mécanisme du DPS est expressément réglementé dans les sociétés par actions (articles L. 225 – 132 à L. 225-141 du Code de commerce) et il est d’ordre public, cela sous-entend qu’on ne peut pas y déroger.
En ce sens, le Code de commerce prévoit que : « Les actions comportent un droit préférentiel de souscription aux augmentations de capital. Les actionnaires ont, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de préférence à la souscription des actions de numéraire émises pour réaliser une augmentation de capital. Lorsque le droit préférentiel de souscription n’est pas détaché d’actions négociables, il est cessible dans les mêmes conditions que l’action elle-même. Dans le cas contraire, ce droit est négociable pendant une durée égale à celle de l’exercice du droit de souscription par les actionnaires mais qui débute avant l’ouverture de celle-ci et s’achève avant sa clôture. L’information des actionnaires quant aux modalités d’exercice et de négociation de leur droit préférentiel sont précisées par décret en Conseil d’Etat. Les actionnaires peuvent renoncer à titre individuel à leur droit préférentiel. La décision relative à la conversion des actions de préférence emporte renonciation des actionnaires au droit préférentiel de souscription aux actions issues de la conversion. La décision d’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital emporte également renonciation des actionnaires à leur droit préférentiel de souscription aux titres de capital auxquels les valeurs mobilières émises donnent droit. »
La loi prévoit expressément que les actions comportent un droit préférentiel de souscription aux augmentations du capital, ce qui sous-entend que c’est la détention d’actions qui ouvre droit à la souscription préférentielle. Toutefois, c’est également en considération de la personne des actionnaires que sont attribués ces droits, puisqu’il est prévu que les actionnaires ont proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de préférence à la souscription des actions de numéraire émises pour réaliser une augmentation de capital. Dès lors, l’attribution des droits préférentiels de souscription est proportionnelle à la participation de chaque actionnaire dans le capital avant augmentation.
Exemple pratique : Une société au capital de 1 000 000 d’euros, divisé en 100 000 actions de 10 euros. Celle-ci décide de doubler son capital en émettant 100 000 actions nouvelles de 10 euros (soit après augmentation, capital social = 2 000 000 euros). Chaque actionnaire disposera d’un DPS à raison d’une action nouvelle pour une ancienne, soit 100 000/100 000. Autrement dit, le capital social étant doublé, chaque actionnaire aura le droit, à cette occasion, de doubler le nombre d’actions qu’il détient.
Une société au capital de 400 000 euros, divisé en 10 000 actions de 40 euros. Ladite société décide d’augmenter son capital en émettant 1 000 actions nouvelles de 40 euros (soit après augmentation, capital social = 1 500 000 euros). Ici, chaque actionnaire disposera d’un DPS à raison d’une action nouvelle pour 10 anciennes (soit 10 000/1 000).
Détermination de la valeur du droit préférentiel de souscription.
La valeur théorique ou mathématique du droit préférentiel de souscription est en principe égale à la perte de valeur que subit chaque action préexistante du fait de l’émission des actions nouvelles. Autrement dit :
Valeur du DPS = valeur d’action avant augmentation – valeur d’action après augmentation
N.B :
Valeur d’action avant augmentation = action dite « droit attaché »
Valeur d’action après augmentation = action dite « ex droit »
En ce sens, on constate bien que le but du DPS est de compenser la perte de valeur subie par les actionnaires en place du fait de l’augmentation de capital, qui a pour conséquence la dilution de leur droit, étant donné que :
Valeur d’action après augmentation = valeur d’action avant augmentation – le DPS
Exemple pratique : Une société a un capital social de 1 000 000 euros divisé en 10 000 actions d’une valeur nominale de 100 euros. Par ailleurs, la société fait état de réserves et plus-values latentes d’un montant global de 500 000 euros. La valeur théorique ou mathématique de chaque action serait dans ce cas :
Si elle décide d’augmenter son capital social de 600 000 euros par voie de création de 6 000 actions nouvelles de 100 euros de valeur nominale, la valeur de chaque action après augmentation serait de :
Soit, la valeur mathématique du DPS serait dans ce cas :
150 € – 131,25 € = 18,75 €.
Notons que la formule que nous venons d’énoncer permet d’établie la valeur théorique/mathématique, or en pratique, la détermination du DPS est plus complexe car elle obéit, entre autres, à la loi du marché, c’est-à-dire à l’offre et la demande, au cours de bourse de l’action, qui est au demeurant parfois très éloigné de la valeur en capitaux propres, ou encore aux perspectives d’avenir de la société etc. A titre d’exemple, dans le cas d’une forte spéculation à la hausse, si les actions son cotées pour une valeur très supérieure à leur valeur en capitaux propres, la valeur du DPS sera bien plus élevée que sa valeur mathématique.
Incidence d’une éventuelle prime d’émission avec le DPS. Les actions nouvelles sont fréquemment émises avec une prime d’émission. Une prime d’émission est par définition un complément d’apport, en numéraire ou en nature, égal par titre de capital à la différence entre la valeur d’émission de ce titre et sa valeur nominale. Elle est déterminée par la société émettrice et acceptée par les souscripteurs. Elle a pour objet d’aligner la valeur de la souscription sur la valeur du marché du titre, en tenant compte de l’existence de réserves et/ou de plus-values. Ce mécanisme a des fonctions qui se recoupent pour partie au DPS : éviter la dilution des réserves et plus -values mais qui se complète pour d’autres : le DPS permettant d’éviter la dilution en capital et en droits de vote, tandis que la prime d’émission procure davantage de fonds propres à la société.
Ce mécanisme peut parfaitement être cumulé avec celui du DPS et il est d’ailleurs particulièrement recommandé de le faire étant donné que la loi ne l’interdit pas. En effet, l’intérêt est majeur puisque si le DPS s’avère plus protecteur de l’associé que la prime, ce premier est inefficace à assurer la protection de l’associé qui négligerait aussi bien l’exercice de son DPS que sa négociation. Ainsi, la prime d’émission protège au contraire tous les associés, sans que soient exigées de quelconques actions de leur part.
Attention toute de même avec ce cumul. En effet, il convient de relever que les valeurs des promes d’émission et du DPS sont proportionnellement inverses de sorte que : une forte prime d’émission réduit l’intérêt de la souscription préférentielle, et donc de sa valeur. Tandis que, une faible prime d’émission accroît l’utilité du DPS et donc son montant.
En effet, dans le cas d’un cumul entre prime d’émission et DPS, on constate que le DPS voit sa valeur amputée de celle de la prime d’émission. Entre autres, la prime d’émission emporte réduction corrélative de la valeur du DPS. Ce constat est parfaitement logique puisque la prime d’émission vient atténuer la perte de la valeur des titres liée à l’émission, perte de valeur qui précisément correspond à la valeur théorique du DPS.
Exemple pratique : Si on reprend notre exemple précédent, nous avions déterminé la valeur mathématique du DPS de la société à 18,75 €.
Admettons que soit décidée une prime d’émission par action de 10€. Cette prime viendra réduire la valeur mathématique du DPS en atténuant la perte de valeur des titres préexistants. Dès lors, il convient de recalculer la valeur du DPS.
Dans l’exemple, la société avait un capital social de 1 000 000 € divisé en 10 000 actions d’une valeur nominale de 100€ et faisant état de réserves et plus-values latentes d’un montant global de 500 000 €.
Nous avions établi que la valeur mathématique de chaque action était de 150 €, que l’augmentation de capital social était de 600 000 € par voie de création de 6 000 actions nouvelles de 100 € de valeur nominale. Nous ajoutons la prime d’émission de 10 € par action.
Dès lors, dans ce cas de figure, la valeur de chaque action après augmentation du capital serait de :
En l’absence totale de prime d’émission, la valeur mathématique du DPS était de 18,75 €.
La différence correspond à la valeur totale de la prime d’émission (soit 60 000€) rapportée à l’ensemble des titres après émission (16 000), soit : 60 000/16 000 = 3,75 €.
Autres avantages découlant de l’ajout d’une prime d’émission. La prime d’émission a une raison d’exister : garantir le juste prix. En effet, il ne vient pas à l’esprit de fixer systématiquement le prix de vente d’une action ou d’une part sociale à sa valeur nominale étant donné que la valeur nominale d’un titre de capital (c’est-à-dire montant du capital par titre) n’est presque jamais, sauf coïncidence extraordinaire, égale à sa valeur vénale (prix de cession du titre), cette dernière se rapprochant davantage de la valeur mathématique (montant des capitaux propres par titre). C’est pourquoi, l’ajout de la prime d’émission permet de prendre en considération plusieurs facteurs afin de déterminer le juste prix des actions ou parts sociales.
Outre cette raison, la prime d’émission permet de garantir l’égalité entre les associés anciens et les associés nouveaux. En effet, elle a un effet anti-dilutif et permet de protéger l’associé contre la seule dilution des réserves et des plus-values (contrairement au DPS qui protège plus globalement l’associé contre la dilution de ses droits dans le capital, les droits de vote mais aussi les réserves et les plus-values), c’est-à-dire, contre la perte de valeur de ses droits sociaux liée à l’augmentation de capital, à la manière d’un DPS qui ne serait pas exercé mais vendu (le prix de cession compensant alors cette déperdition de valeur). Ainsi, on peut constater que la prime d’émission a pour but « d’assurer l’égalité entre les anciens et les nouveaux actionnaires à raison des réserves existantes et de la plus-value acquise par l’actif social » (Journ. Sociétés 1915, p.156, C. Houpin – V. Mémento Lefebvre Sociétés commerciales 2010, n°11623).
Par ailleurs, elle a pour effet de constituer un droit d’entrée, car en surenchérissant le coût de la souscription, elle joue le rôle de ticket d’entrée dans la société.
Enfin, l’avantage de prévoir une prime d’émission tient dans le fait que celle-ci permet d’accroitre les fonds propres de la société émettrice. En ce sens, la prime d’émission constitue un supplément d’apports qui se traduit par un supplément de richesses pour la société qui la perçoit et donc par une augmentation de ses capitaux propres.
N.B. La société est libre, au travers de l’assemblée générale de ses actionnaires, de fixer une prime d’émission et de décider de l’affectation de cette prime, c’est-à-dire l’usage qu’elle entend en faire. Il faut préciser qu’aucune méthode de calcul s’impose aux parties car la prime d’émission est déterminée librement par la société d’une part et les souscripteurs d’autre part.
(1) En cas de non-coopération : les possibles actions de blocage contre les décisions prises en assemblée
Les actions judiciaires de mise en cause – action contre les majoritaires. Fondée sur la notion d’abus de droit et donc sur la responsabilité civile extracontractuelle (article 1240 du Code civil), l’abus de majorité est une action offerte aux associés minoritaire pour contester les décisions prises qui vont à l’encontre de leur intérêt. En effet, il y a abus de majorité lorsqu’une résolution a été prise « contrairement à l’intérêt général et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité » (Cass. Com., 18 avr. 1961, Bull. civ. III, n°175 ; D. 196, jurispr. P. 661 ; Cass. Com., 17 juin 2008, n°06-15.045, Bull. IV., n°125). Il y a donc abus de majorité dès lors qu’une résolution en assemblée a été adoptée : avec une violation de l’intérêt social (art. 1833 al 2 Code civil) et une rupture d’égalité entre actionnaires. La jurisprudence démontre que le juge recherche le préjudice subi par la minorité pour se prononcer et apprécier l’existence d’un abus de majorité. La sanction de cet abus consiste en l’annulation de la décision abusive, puis, s’il subsiste un préjudice non réparé, dans le versement de dommages et intérêts. Il convient de préciser que, les auteurs d’un abus de majorité ne peuvent être que les actionnaires majoritaires eux-mêmes, dès lors, les demandeurs à l’action ne sauraient assigner la société de ce chef.
A titre d’exemple, la jurisprudence avait déjà estimé que, le vote d’une réduction à zéro du capital suivi de son augmentation (« coup d’accordéon ») dans le but de faire disparaître une promesse d’achat de ses titres que le majoritaire avait consentie au minoritaire était un abus de majorité (Cass. Com., 11 janv. 2017, n°14-27.052, Gaz. Pal. 2017, n°23, p. 77, obs. J-M. Moulin : coup d’accordéon ne répondant à aucun impératif financier, mais destiné à évincer un minoritaire).
Dans un autre exemple, le juge avait retenu d’abus de majorité, le vote lors d’une assemblée, d’une augmentation du capital réservée aux majoritaires, sans prime d’émission, et alors que les besoins de financement invoqués pour justifier cette opération apparaissaient très vagues (Cour d’appel de Toulouse, le 2 juin 2009, JurisData n°2009-007301).
Il en va de même, dans une décision où le juge a estimé qu’était un abus de majorité, le vote de la dissolution de la société décidée à l’initiative des majoritaires sans motifs sérieux, mais dans l’unique but de faire échec à une promesse qu’ils avaient consentie au minoritaire de racheter ses parts sociales à un prix déterminé (Cass. Com., 10 avr. 2019, n°17-14.790).
Par conséquent, les minoritaires ont des droits leur permettant de bloquer les décisions proposées en assemblée qui leur porte préjudice. Outre l’action en justice par le biais de la responsabilité civile qu’est l’abus de majorité, il existe plusieurs autres options qu’on ne détaillera pas ici, tels que des initiatives internes, l’action ut singuli qui consiste à se retourner, pour un associé lésé, contre la société cette fois-ci afin d’être indemnisé d’un préjudice qui a été causé par un ou plusieurs dirigeants…
La limite à l’action contre les majoritaires : l’abus de minorité. Toutefois, ces droits sont limités. En effet, les associés minoritaires ne doivent pas confondre leur droit d’agir afin de bloquer une situation qui leur porte préjudice et l’utilisation excessive de ce droit qui bloquerait toute opération essentielle pour la société. L’attitude d’un associé minoritaire qui interdit la réalisation d’une opération essentielle pour la société dans l’unique but de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés constitue selon une jurisprudence que l’on peut qualifier de constante un abus de minorité (Cass. Com., 9 mars 1993, n°91-14. 685, Bull. civ. IV, n°101, arrêt « Flandin »). Ainsi, outre l’élément de contrariété à l’intérêt social, il convient de démontrer que le minoritaire a agi dans son intérêt personnel exclusif. L’abus de minorité est sanctionné par l’obtention de dommages et intérêts de la part des associés responsables et la possible adoption de la décision initialement rejetée. Étant entendu que, toute sanction d’annulation est impossible ici puisqu’aucune décision n’a été prise, il y a dans ce cas de figure un enjeu majeur car il faut trouver une sanction qui soit à la fois efficace et satisfaisante pour les associés majoritaires lésés sans pour autant porter atteinte aux droits des associés minoritaires et préserver l’intérêt de la société.
La protection de la société en cas de défaillance du cocontractant lors des négociations
Outre l’évaluation par audit et la création d’un pacte extrastatutaire protecteur des intérêts de chacun, pendant cette phase précontractuelle il convient de signer deux contrats pour assurer les arrières de l’entreprise en cas de défaillance du cocontractant potentiel lors des négociations : un contrat de confidentialité (1) et une lettre d’intention (2).
(2) Le contrat de confidentialité ou « non-disclosure agreement »
Lors des pourparlers, des informations déterminantes sur l’entreprise vont être révélées. Tous les audits vont être apportés aux yeux des investisseurs, il faut donc garantir la confidentialité de ces données et garantir le secret des négociations en cours. Il faut sécuriser à la fois les données sensibles de la société qui se dévoile, et les pourparlers en tant que tels (montant de la levée, les actions données en contrepartie, les futures règles fixées…). La place de l’avocat est donc déterminante.
(3) La lettre d’intention ou « Letter of Intent (LOI) »
Cette étape n’est pas obligatoire mais fortement recommandée car elle permet de cadrer les pourparlers et de permettre la manifestation de l’intérêt des parties à la réussite de l’opération. Elle permet de synthétiser les négociations déjà intervenues, de cadrer les négociations futures et de formaliser clairement l’intérêt de l’investisseur pour l’opération de la levée de fonds, ce qui rassure le porteur de projet pendant la période des négociations qui peut parfois être longue et périlleuse.
Cette lettre d’intention est un avant-contrat qui permet de conserver la liberté de ne pas contracter. Toutefois, il peut figurer diverses clauses particulièrement contraignantes pour les deux parties. Dès lors, la rédaction de cette lettre d’intention nécessite une expertise qui manifestement ne peut être assurée que par l’intervention d’un conseiller juridique à même de déceler les besoins de chacun et de trouver un équilibre pertinent.
1.4. La phase contractuelle (la levée de fonds)
1.4.1. La préparation de l’opération de la levée de fonds
Avant toute opération de levée de fonds, les associés de la société doivent consentir à l’augmentation du capital social. Pour ce faire, il faut obligatoirement convoquer une assemblée générale extraordinaire car l’opération de levée de fonds nécessite l’accord des associés (ou actionnaires) conformément à ce qui est prévu dans les statuts, dès lors qu’elle constitue une modification substantielle de la société (augmentation du capital par apports extérieurs) qui engendre, de facto, une modification des statuts.
La préparation de la levée de fonds s’effectue comme suit :
(1) Définir le montant du financement et proposition par le dirigeant de l’augmentation du capital social et fixation des modalités de réalisation : L’article L. 225-127 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le capital social est augmenté soit par émission d’actions ordinaires ou d’actions de préférence, soit par majoration du montant nominal des titres de capital existants. Il peut également être augmenté par l’exercice de droits attachés à des valeurs mobilières donnant accès au capital ». L’article L. 225-128 du même code précise que « les titres de capital nouveaux sont émis soit à leur montant nominal, soit à ce montant majoré d’une prime d’émission. Ils sont libérés soit par apport en numéraire y compris par compensation avec des créances liquides et exigibles sur la société, soit par apport en nature, soit par incorporation de réserves, bénéfices ou primes d’émission, soit en conséquence d’une fusion ou d’une scission. Ils peuvent aussi être libérés consécutivement à l’exercice d’un droit attaché à des valeurs mobilières donnant accès au capital comprenant, le cas échéant, le versement des sommes correspondantes ».
(2) La rédaction d’un pacte d’actionnaire avec conditions suspensives : A la suite de cet accord des associés fondateurs, les parties doivent négocier et rédiger un nouveau pacte d’actionnaire. Cela permettra de définir les modalités de sortie des investisseurs. En effet, l’objectif initial des investisseurs est d’apporter des fonds en échange de titres qu’ils pourront revendre au meilleur prix. Dès lors, ils attendent des modalités de sortie du capital de la société avantageuses.
En effet, à moins que les investisseurs ne soient des particuliers investissant leur propre argent (connus sous le nom de Business Angels), très souvent il s’agit de fonds d’investissement qui ont eux-mêmes des comptes à rendre et une certaine rentabilité à atteindre auprès de leurs propres investisseurs. Leur objectif est donc de sortir rapidement du capital de la société en ayant réalisé la plus grande plus-value possible.
En ce sens, les conditions de sortie sont importantes. Elles peuvent être de deux sortes : par cession de gré à gré (les actions sont rachetées par la société même, par un autre investisseur ou par un acquéreur industriel) ou par l’introduction en bourse.
Ainsi, au moment de la levée de fonds, il y aura une dernière négociation engagée entre les fondateurs de l’entreprise et les investisseurs pour prévoir toutes les règles qui régiront leur association dans le cadre de ce projet et les conditions de sortie de ces derniers.
(4) Procédure d’agrément : Lorsque l’augmentation du capital a pour conséquence l’entrée au capital de nouveaux associés, il peut être prévu aux statuts de la société une procédure d’agrément préalable. Dès lors, la procédure d’agrément doit être respectée conformément aux dispositions prévues par les statuts sous peine de nullité de l’augmentation de capital.
(3) Convocation de l’assemblée générale extraordinaire (AGE) pour acter l’augmentation de capital social et l’entrée de nouveaux associés : L’article L. 225-129 du Code de commerce dispose que « l’assemblée générale extraordinaire est seule compétente pour décider, sur le rapport du conseil d’administration ou du directoire, une augmentation de capital immédiate ou à terme ». L’article L.225-129-1 du même code ajoute que « lorsque l’assemblée générale extraordinaire décide l’augmentation de capital, elle peut déléguer au conseil d’administration ou au directoire le pouvoir de fixer les modalités de l’émission des titres ».
Dès lors, il convient d’analyser les statuts pour définir les règles de la prise de décision.
(4) Vérification des statuts de la société pour décider sur l’opération : Cette opération de levée de fonds requiert une décision collective des associés ou actionnaires, dans les conditions requises pour la modification de ses statuts. A cet égard, on vérifie les quorums exigés et les éventuels droits préférentiels de souscription figurant dans les statuts de la société.
(5) Décision : la décision d’augmentation de capital social sera valablement adoptée en fonction des règles propres à la forme juridique de la société.
(6) Constatation de la réalisation de l’augmentation de capital : une fois la décision prise, un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire devra être dressé. Comme il s’agit d’une augmentation de capital par apport en numéraire dans le cadre de levée de fonds, ce procès-verbal n’a pas besoins d’être enregistré auprès du service départemental de l’enregistrement du lieu du siège social de la société (loi de finances pour 2021, alors qu’il est obligatoire pour les apports en nature).
(7) Délai à respecter : L’augmentation de capital doit être réalisée dans le délai de cinq ans à compter de cette décision (art. L. 225-129 du Code de commerce). Le capital doit être intégralement libéré avant toute émission d’actions nouvelles à libérer en numéraire (art. L. 225-131 du Code de commerce).
(8) Dépôt des fonds issus de l’augmentation : Les investisseurs, souscripteurs des nouvelles actions devront s’acquitter du montant du capital souscrit. Ces sommes devront être déposées sur un compte bancaire, à la caisse des dépôts ou chez un notaire. Le dépôt donnera alors lieu à une attestation de dépôt des fonds.
1.5. La phase post-contractuelle (enregistrement – publicité – gestion du séquestre)
Postérieurement à la levée de fonds, les parties sont débitrices de nombreuses obligations formelles : une publication dans un journal d’annonces légales (1), des formalités auprès du greffe du tribunal compétent (2), et un enregistrement au service des impôts des entreprises (3).
(1) La publication de l’augmentation du capital dans un délai d’un mois à compter de la décision d’AGE : s’effectue sur un journal d’annonces légales (JAL) et doit mentionner : la dénomination, le montant du capital social, la forme juridique, l’adresse du siège social, le lieu et le numéro d’immatriculation au RCS, la date de la décision (AGE) de modification et les modalités.
(2) Le dépôt au greffe du tribunal compétent dans un délai d’un mois à compter de la décision d’AGE : le procès-verbal d’assemblée générale devra être transmis au greffe du tribunal de commerce du siège social de la société, ainsi que l’attestation de dépôts des fonds, les statuts modifiés, le formulaire M2 et l’attestation de parution du JAL.
(3) La déclaration au service des impôts des entreprises (SIE) : le procès-verbal d’assemblée générale devra faire l’objet d’un enregistrement aux impôts. La démarche varie en fonction de l’apport réalisé. Dans le cas de figure d’une levée de fonds, l’apport est en numéraire, dès lors il faudra joindre au procès-verbal un chèque de 375 euros (500 euros si le nouveau capital social de la société est supérieur à 225 000 euros).
Bail commercial : la notion du droit de préemption du preneur
1. Définition du droit de préemption du locataire
Le locataire d’un local commercial ou artisanal bénéficie d’un droit de préemption.
Autrement dit, si le bailleur décide de vendre ledit local, le locataire est prioritaire pour l’acquisition par rapport aux tiers (article L.145-46-1 du Code de commerce).
Cette disposition est d’ordre public : cela signifie que le contrat de bail commercial ne peut exclure ce droit de préemption du locataire.
2. Mise en œuvre du droit de préemption du locataire
2.1. Obligation pour le bailleur de notifier au locataire son intention de vendre le local
Le bailleur a l’obligation de notifier au locataire son intention de vendre le local par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement.
A peine de nullité, cette notification doit impérativement indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée et reproduire les quatre (4) premiers alinéas de l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire.
L’absence de cette notification par le bailleur est considérée comme une violation du droit de préemption du locataire.
Focus sur le moment de la notification au locataire :
Afin de respecter le droit de préemption du locataire, cette notification doit intervenir avant la vente du local auprès du tiers acquéreur. En revanche, cette notification peut intervenir postérieurement à la conclusion d’une promesse unilatérale de vente sous la condition suspensive d’absence d’exercice de son droit de préférence par le locataire (Cour de cassation, troisième chambre civile, 23-09-2021, n°20-17.799).
2.2. La réponse du locataire à la notification du bailleur
Le locataire dispose d’un délai d’un (1) mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer :
– Si le locataire décline l’offre : le bailleur peut procéder à la vente du local auprès d’un tiers,
– Si le locataire ne répond pas à l’offre dans le délai d’un (1) mois : l’offre devient caduque et le bailleur peut procéder à la vente du local auprès d’un tiers,
– Si le locataire accepte l’offre : le locataire dispose d’un délai de deux (2) mois pour conclure la vente avec le bailleur. S’il compte recourir à un prêt, il doit il doit l’indiquer au Bailleur, le délai de réalisation de la vente est alors porté à quatre (4) mois. Si, à l’expiration de ce délai de quatre (4) mois, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet.
2.3. Lorsque le bailleur décide de vendre son local à un tiers à des conditions plus avantageuses que celles notifiées au locataire
S’il apparait que finalement, le bailleur décide de vendre le local à des conditions ou à un prix plus avantageux à un tiers acquéreur, le bailleur ou le notaire doit notifier au locataire, ces conditions et ce prix à peine de nullité de la vente.
Cette notification doit respecter les formes et conditions visées au 2.1 du présent article.
Cette notification vaut également offre de vente au profit du locataire qui doit répondre dans le délai d’un (1) mois.
Le 2.2 du présent article s’applique à cette notification.
3. Sanction en cas de non-respect du droit de préemption du Locataire
Le non-respect du droit de préemption du Locataire est la nullité de la vente effectuée en violation de ce droit (Cour de cassation, troisième chambre civile, 14-11-2012, n°11-22.433).
Cette action en nullité doit être introduite par le locataire dans un délai de deux (2) ans à compter de la notification de la cession au tiers acquéreur devant le Tribunal Judiciaire du lieu de situation de l’immeuble.
4. Exception au droit de préemption
Néanmoins, il résulte du dernier alinéa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce que ce droit de préemption du n’est pas applicable si l’on se trouve dans l’une des hypothèses suivantes :
– cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial,
– de cession unique de locaux commerciaux distincts,
– de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial,
– cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux,
– cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.
Avant d’engager toute action contentieuse en nullité de la vente du local en violation de son droit de préemption, le locataire doit donc vérifier que la vente du local n’entre pas dans l’une de ces hypothèses.
Dans un arrêt en date du 9 mars 2022, la Chambre commerciale admet qu’une SARL puisse être engagée par les actes d’un salarié, en se fondant sur l’existence d’un mandat apparent. La Haute juridiction rappelle par ailleurs les éléments permettant de retenir un tel mandat.
Une société de promotion a signé une promesse unilatérale de vente portant sur plusieurs parcelles de terrain en vue de la construction de logements, opération à l’occasion de laquelle une société à responsabilité limitée est intervenue en qualité d’apporteur d’affaires. Un riverain ayant menacé de déposer un recours contre le permis de construire qui avait été accordé, la société de promotion a signé avec lui un protocole d’accord prévoyant le versement d’une indemnité transactionnelle de 60 000 euros. Prétendant que la société apporteuse d’affaire s’était engagée à prendre en charge la moitié de cette somme, la société de promotion l’a assignée en paiement.
Les juges du fond accédèrent à cette demande, suscitant la formation d’un pourvoi en cassation.
La Haute juridiction rejette le pourvoi en ces termes :
« 3. D’une part, le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu’une telle société puisse être engagée sur le fondement d’un mandat apparent. Le grief de la première branche, qui postule le contraire, manque en droit.
D’autre part, il résulte des articles 1985 et 1998 du Code civil qu’une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.
L’arrêt constate que, s’agissant de la rémunération de la société Cofimo, la société Oceanis promotion avait pour seul interlocuteur M. P., salarié de cette petite société, que ce dernier a déclaré, dans trois courriels adressés à la société Océanis promotion, qu’il intervenait pour le compte de la société Cofimo, en employant le terme « nous » pour la désigner et en terminant ses messages par les mots « Pour Cofimo », et que la société Océanis promotion envoyait ses propres courriels à l’adresse mail de la société Cofimo et non à l’adresse mail personnelle de M. P. Il en déduit que la société Océanis promotion a pu légitimement croire que M. P., qui a confirmé par écrit l’engagement de la société Cofimo concernant la rétrocession d’honoraires, avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d’apporteur d’affaires de cette société. En l’état de ces constatations et appréciations, caractérisant les circonstances autorisant la société Océanis promotion à ne pas vérifier les pouvoirs de M. P., la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »
[L’avis du Cabinet]
En principe, une société est engagée par les actes passés en son nom et pour son compte par le représentant légal, le dirigeant. Dans le cas d’une SARL, c’est donc le gérant qui dispose en principe du pouvoir d’engager la personne morale. La sécurité juridique est assurée à ce titre par une information légale réalisée par le truchement d’une publicité, qui permet de connaître l’identité du dirigeant social.
Or en l’espèce la question se posait de savoir dans quelle mesure une SARL pouvait être engagée par l’un de ses salariés. En l’occurrence le salarié de la SARL était le seul interlocuteur des parties. À la faveur de courriels, il s’était par ailleurs présenté comme intervenant pour la SARL, et il recourait en ce sens fréquemment au pronom « nous » dans ses échanges, échanges qui provenait de l’adresse de la SARL en question et non d’une adresse personnelle.
L’ensemble de ces éléments permet à la Haute juridiction d’admettre que le salarié ait engagé la société sur le fondement du mandat apparent. Elle rappelle par ailleurs les conditions pour caractériser l’existence d’un tel mandat. Il faut démontrer la croyance légitime du tiers dans les pouvoirs du mandataire apparent, les circonstances autorisant le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs. En l’espèce, tel était bien le cas.
La Haute juridiction précise que « le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu’une telle société puisse être engagée sur le fondement d’un mandat apparent ».
Cela étant, elle rappelle que’ « il résulte des articles 1985 et 1998 du Code civil qu’une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ».
Les entrepreneurs sont donc appelés à la précaution. Le monopole de la représentation légale par le gérant de SARL n’exclut pas l’engagement de la société sur le fondement d’un mandat apparent.
Dans une décision importante du 31 mars 2022, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur le champ d’application du régime de la première cession d’un usufruit temporaire dans le cadre d’un apport en société d’un usufruit viager préconstitué.
En l’espèce, le 23 juillet 2013, un homme consent à sa fille, une donation-partage portant sur l’usufruit viager de 36 parts sociales d’une Société en Nom Collectif (SNC). Le 2 décembre 2013, la requérante constitue avec son père, une Société par Actions Simplifiée (SAS). A cette occasion, elle apporte à la SAS l’usufruit des 36 parts sociales pour une durée limitée à 30 ans. En contrepartie de cet apport, elle obtient pleine propriété des actions de la SAS pour une valeur totale de 1,248,000 euros.
L’administration fiscale opère un contrôle sur pièces et procède à un redressement sur le fondement de l’article 13, 5° du code général des impôts en imposant, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), le montant de l’apport. Ainsi, la requérante se voit assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à raison de la somme reçue en contrepartie de l’apport consenti à cette SAS.
La requérante saisit le Tribunal administratif de Paris et demande la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contribution sur les hauts revenus. Sa demande n’est pas accueillie.
La requérante saisit la Cour administrative d’appel de Paris qui infirme le jugement et prononce la décharge des impositions et pénalités en litige.
L’administration forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 31 mars 2022, le Conseil d’Etat censure la Cour administrative d’appel de Paris dans ces termes :
« D’autre part, aux termes du 1° du 5 de l’article 13 du code général des impôts : » Pour l’application du 3 et par dérogation aux dispositions du présent code relatives à l’imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé (…) « . Ces dispositions trouvent à s’appliquer tant à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d’un bien ou droit, d’un usufruit portant sur celui-ci qu’à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d’un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d’usufruit pour une période qui n’est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine. »
[L’avis du Cabinet]
Le Conseil d’Etat considère que l’apport limité à un une durée fixe d’un usufruit viager préconstitué relève des dispositions de l’article 13, 5° du Code général des impôts. La rédaction du traité d’apport revêt une importance capitale. En effet, plutôt que de préciser que l’usufruit était apporté pour une durée fixe (30 ans), il aurait été préférable d’apporter l’usufruit pour une durée correspondant à la survivance de ses associés par exemple. Le cas échéant, puisque l’article 13, 5, 1° du code général des impôts n’est pas applicable lorsque l’usufruit est cédé pour une période exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine, l’administration fiscale n’aurait pas appliqué le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
Dans une décision du 1e décembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation décide que le dépôt par le dirigeant d’une SARL d’un brevet dont il est l’inventeur en nom propre ne constitue pas une faute de gestion, quand bien même la SARL se serait contractuellement engagée à le faire pour elle-même.
En l’espèce deux sociétés sont convenues par un accord le versement, par la première à la seconde, une SARL, d’une avance en contrepartie de l’engagement de cette dernière de développer un procédé et de déposer avant le 31 décembre 2013, pour le compte exclusif de la première société, un brevet portant sur ce procédé sous peine de devoir rembourser le montant de l’avance.
À l’occasion d’une réunion, il fut décidé que le brevet serait déposé au nom de la ARL et qu’un accord serait négocié sur la répartition du bénéfice du brevet et sur la rémunération, par la société, de la cession de tout ou partie du brevet.
Par la suite, le dirigeant de la SARL, inventeur du procédé objet de l’accord, a déposé le brevet à son nom.
Estimant que l’accord n’avait pas été exécuté, la société a formé une demande en remboursement de l’avance dirigée contre la SARL et engagée une action en responsabilité contre le dirigeant.
La Haute juridiction décide que :
« Vu les articles 1165 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et L. 223-22, alinéa 1er, du Code de commerce :
Aux termes du premier de ces textes, les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes. Selon le second, les gérants de société à responsabilité limitée sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, des fautes commises dans leur gestion.
Pour retenir la responsabilité personnelle de M. U. à raison de sa gestion de la société Coretecholding, l’arrêt, après avoir souligné que l’exécution de l’accord passé entre les sociétés Unither et Coretecholding supposait que le demandeur du brevet fût la société Coretecholding, retient qu’en déposant la demande de brevet à son nom, M. U. a privé la société Coretecholding de tout droit sur ce brevet et qu’en faisant ainsi fi de l’accord qu’il avait pourtant lui-même signé en qualité de gérant, il a commis, dans la gestion de cette société, une faute personnelle détachable de son mandat.
En statuant ainsi, alors, d’une part, qu’elle avait constaté que M. U. était l’unique inventeur du procédé breveté et qu’il n’était pas personnellement lié par l’accord conclu entre les sociétés Unither et Coretecholding, de sorte qu’il était en droit de déposer le brevet à son nom, et, d’autre part, qu’ayant été effectué par M. U. à titre personnel, et non en qualité de gérant, ce dépôt ne pouvait pas constituer une faute commise dans la gestion de la société Coretecholding, la cour d’appel a violé les textes susvisés […]
Vu les articles 1382, devenu 1240, du Code civil et L. 223-22, alinéa 1er, du Code de commerce :
Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte du second que la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions et qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.
Pour retenir la responsabilité personnelle de M. U. à raison de sa gestion de la société Coretecholding, l’arrêt retient encore que le défaut de restitution à la société Unither de la somme de 17 000 euros exigible au 31 mars 2014, à une époque où rien ne permettait de retenir que la société Coretecholding ne disposait pas des fonds suffisants pour y procéder, résulte uniquement de la résistance fautive imputable à M. U.
En se déterminant ainsi, sans établir que cette résistance fautive constituait une faute d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ».
Cession de titres : aspects juridiques, opérationnels et fiscaux
1. Introduction rapide
Définition de titres sociaux
Les titres sociaux sont des titres de propriété émis par la société pour les associés (ou actionnaires) en échange de leur apport au capital. Ainsi, les associés (ou actionnaires) d’une société propriétaires de titres sociaux sont créanciers de droit (droit de percevoir les dividendes et droit de vote aux assemblées) et débiteurs de devoir (devoir de participer aux pertes par exemple).
Il convient de préciser que lorsque c’est une société par action qui émet le titre, on parle d’action (ou titre librement négociable). A défaut, pour toutes les autres formes sociales, on parle de part sociale (ou titre non librement négociable). Ce qui distingue les titres librement et non-librement négociales, c’est leur mode de transmission. En effet, les actions sont dites « librement négociables » parce qu’elles échappent au formalisme des cessions de créances. Au-delà du mécanisme des cessions de créances pour la transmission des titres non-négociales, il convient de distinguer la cession aux tiers des parts de SARL qui doit obéir au mécanisme légal de la procédure d’agrément.
Régime juridique de la cession de titres sociaux
D’abord, comme son nom l’indique, la cession de titres sociaux est d’abord un contrat de vente définit par les articles 1582 et suivants du code civil.
Ensuite, le code de commerce prévoit un cadre légal spécifique aux transmissions de titres selon la nature de la société.
Conditions de fonds de la cession de titres sociaux
D’abord, en application des articles 1594 et suivants du code civil, il convient de savoir qui peut acheter ou vendre. En matière de vente de titres, les parties doivent avoir la capacité juridique de contracter Aussi, selon la nature de la société, ils devront avoir la qualité de commerçant.
Ensuite, en application des articles 1602 et suivants du code civil, le vendeur est tenu de deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend, à savoir les titres sociaux. La principale obligation de l’acheteur est quant à lui celle de payer le prix au jour et au lieu réglés par la vente
Conditions de forme de la cession de titres sociaux
A chaque société son formalisme. Légalement, le formalisme le plus strict incombe aux cessions de parts sociales de SARL. En effet, les articles L. 223-14 et suivants du code de commerce impose un mécanisme d’agrément en cas de cession à un tiers étranger. Ce sont les statuts qui précisent la mise en œuvre de ce mécanisme étant entendu que le tiers n’est agréé qu’avec le consentement de la majorité des associés. En ce qui concerne les autres formes sociales, la loi n’impose pas de formalisme précis. En pratique, ce sont les statuts, et donc la loi des parties, qui déterminent la procédure et le formalisme.
2. Les aspects juridiques et opérationnels de la cession de titres sociaux
2.1. La phase préparatoire (l’audit)
Audit : définition et objectifs
Précisons d’emblée qu’à l’occasion de la cession de titres sociaux, le repreneur n’hérite pas que des éléments d’actifs comme en matière de cession de fonds de commerce. En effet, il hérite de tous les droits et obligations attachés aux titres sociaux, c’est-à-dire notamment au passif qui serait né antérieurement à la cession mais qui se révèlerait après. C’est en ce sens que la cession de titres sociaux est bien plus risquée pour un repreneur.
A ce titre, la réalisation d’un audit d’acquisition par le repreneur nous parait indispensable. Aussi, à la différence d’une vente de fonds de commerce ou l’audit juridique parait suffisant, la cession de titres nécessite un audit beaucoup plus complet. En effet, il est vivement conseillé de faire réaliser à minima un audit comptable par l’acquéreur. Idéalement, l’audit devra porter également sur les aspects de ressources humaines et de fiscalité. En tout état de cause, la cession de titre impose un audit corporate et légale pour connaitre le formalisme à respecter, et notamment la procédure d’agrément en matière de cession de parts sociales de SARL à un tiers.
2.2. La phase précontractuelle (les négociations)
La formalisation de la phase précontractuelle est vivement conseillée. Le contrat de pourparlers permet de d’encadrer la phase des négociations, leur durée et les conditions de leurs ruptures. A ce propos, il est possible de prévoir contractuellement les mesures coercitives ou les sanctions en cas de faute ou de rupture abusive des négociations.
Rappelons que l’opération de cession de titres est un contrat de vente. Dans ces conditions, les négociations ont pour but de trouver un accord sur la chose (les titres sociaux) et le prix.
Détermination de la chose vendue (les titres sociaux) :
Les parties doivent, durant la négociation, déterminer avec précision le périmètre de la reprise. Il s’agit donc d’identifier précisément les titres sociaux qui sont par principe numérotés dans les statuts.
Détermination du prix :
Les parties doivent ensuite déterminer le prix de cession. Il existe plusieurs méthodes de valorisation des titres sociaux : par la valeur de rendement, par la valeur patrimoniale, par comparaison, par la valeur de productivité ou encore par la valeur mathématique. Astuce : le repreneur doit à notre sens s’assurer que le résultat net comptable moyen réalisé par la société cible lui permettra d’absorber le coût d’acquisition. Sauf en cas de cession immédiate, si l’opération nécessite la rédaction d’une promesse sous condition suspensive, il est important de prévoir que le prix soit revalorisé selon telle ou telle méthode le jour de la vente définitive.
Nos conseils de négociation aux repreneurs : outre le prix de vente du fonds en lui-même, le repreneur va devoir faire face à de nombreux frais qu’il convient d’intégrer dans la négociation du prix : frais de rédaction d’acte et de séquestre (honoraires) et droits d’enregistrement. Il est donc important de vérifier que le résultat net comptable moyen réalisé par la société cible permettra au repreneur d’absorber le coût d’acquisition.
Nos conseils de négociation aux vendeurs : il peut être opportun de faire valoriser la société en amont de toute vente par un expert-comptable afin d’avoir une valeur de référence.
2.3. La phase contractuelle (la vente)
2.3.1. La promesse de vente (sous condition suspensive)
La formalisation de la phase d’une promesse de vente sous condition suspensive n’est pas obligatoire mais vivement conseillée. En pratique, elle fait consensus lorsqu’il s’agit de céder des titres non librement négociables à des tiers. En effet, elle permet de bloquer les titres le temps de réaliser les formalités imposées par les statuts pour la cession en cours. C’est là l’intérêt d’avoir réalisé un audit corporate préalable sérieux. En effet, le rapport d’audit permet d’identifier notamment les étapes à respecter pour purger la procédure d’agrément en matière de cession de parts sociales de SARL à un tiers. Mais également, il peut exister des droits préférentiels de souscription ou autres formalités préalables nécessaires à purger. Aussi, ce sont ces formalités qui peuvent être mises en conditions suspensives.
2.3.2. La purge des conditions suspensives
Postérieurement à la signature du compromis, vendeur et repreneur doivent purger les conditions suspensives dans les conditions déterminées dans l’acte.
Tant que la condition suspensive ne se réalise pas, la cession ne s’exécute pas. Ainsi, tant que la condition suspensive est en suspens, le cédant reste propriétaire des titres sociaux et l’acquéreur n’est pas tenu de payer le prix.
Dans ces conditions, l’acte prévoit généralement une date limite pour purger les conditions suspensives de sorte qu’au-delà, le compromis devient caduc. Un contentieux important existe notamment lorsqu’il est démontré la mauvaise foi de l’acquéreur quant au laxisme dont il aurait fait preuve dans la recherche de son financement par exemple.
2.3.3. La vente définitive
Postérieurement à la purge des conditions suspensive, il convient de rédiger et de signer l’acte de cession définitive. Cet acte n’est soumis à aucun autre formalisme que celui prévu aux statuts et aux articles 1583 et suivants du code civil.
Précisons qu’il est d’usage de prévoir une clause de garantie d’actif et de passif au profit de l’acquéreur. La garantie d’actif et de passif engage un vendeur à indemniser un acheteur si l’actif ou le passif diminue ou augmente, respectivement, suite à la cession d’une société, pour une cause antérieure à la cession en question.
La clause de garantie d’actif assure l’acquéreur d’être couvert contre toute diminution des actifs dont la cause est antérieure à la cession de parts sociales d’une société. Quant à la garantie de passif, il s’agit d’une clause complémentaire à la garantie d’actif. Elle vise également à protéger l’acquéreur de titres d’une société, cette fois-ci contre la hausse de son passif. Cette clause contient notamment les éléments suivants : durée d’application (entre 3 et 5 ans correspondant aux durées de prescription) – date d’activation de la garantie d’actif – champ d’application de la garantie d’actif – calcul de l’indemnité, pouvant être décroissante dans le temps – montant déclenchant la garantie, appelé montant plancher – montant maximum sur lequel le cédant s’engage à indemniser la société, appelé montant plafond – modalités de mise en œuvre de la garantie.
2.4. La phase post-contractuelle (enregistrement – publicité – gestion du séquestre)
Postérieurement à la vente, l’acquéreur est débiteur de l’obligation d’enregistrer l’acte au Service de la publicité foncière et de l’enregistrement compétent et de s’acquitter du droit d’enregistrement.
Ensuite, il convient de distinguer selon que la vente porte sur des actions ou parts sociales :
Pour les cessions d’actions :
L’officialisation de la cession se fait par une transcription de l’opération au registre de mouvement des titres et se manifeste par l’inscription d’un ordre de mouvement par lequel le cédant va donner l’ordre à la société de virer X actions sur le compte du cessionnaire. Le transfert de propriété s’opère avec la mise à jour de la comptabilité des titres.
Pour les cessions de parts sociales :
Une double formalité est nécessaire. Premièrement, il convient d’assurer l’opposabilité de la cession à la société par la signification de l’acte au siège social (article 1690 du code civil). Deuxièmement, il convient d’assurer l’opposabilité aux tiers de la cession par la publication des statuts mis à jour au Centre des Formalités des Entreprises compétent.
3. Les aspects fiscaux de la cession de titres sociaux
3.1. La fiscalité du cessionnaire (droits d’enregistrement)
En ce qui concerne les montants des droits d’enregistrement, ces derniers sont fixés par l’article 726 du code général des impôts. Les taux prévus varient selon qu’il s’agisse d’actions ou de parts sociales mais également selon la nature de la société cible :
* pour les cessions de participations dans les personnes morales à prépondérance immobilière, le droit d’enregistrement est de 5 % ;
* pour les cessions d’actions, de parts de fondateur, de parts bénéficiaires des sociétés par action, autres que celles des personnes morales à prépondérance immobilière ainsi que des parts ou titres de capital souscrits par les clients des établissements de crédit mutualistes ou coopératifs le taux du droit d’enregistrement est fixé à 0,1 % ;
* pour les cessions de parts sociales dans les personnes morales dont le capital n’est pas divisé en actions (autre que les cessions de participations des sociétés à prépondérance immobilière et des parts ou titres de capital souscrits par les clients des établissements de crédit mutualistes ou coopératifs), le droit d’enregistrement est de 3 % après un abattement égal, pour chaque part, au rapport entre 23.000 € et le nombre total de parts de la société.
3.2. La fiscalité du cédant (plus-values)
Le cédant est quant à lui imposé au titre des plus-values. Le calcul de la plus-value correspond à la différence entre le prix de vente et le prix d’acquisition des titres.
3.2.1. Le régime fiscal des plus-values privée
Le régime des plus-values privées s’applique aux gains nets issus des cessions à titre onéreux de droits sociaux sans porter d’intérêt ni au montant de la participation du cédant dans le capital de la société ni au régime fiscal de la société (société de capitaux assujettie à l’impôt sur les sociétés ou société de personnes dont l’imposition des résultats relève de l’impôt sur le revenu).
Néanmoins, une condition existe pour les titres de sociétés de personnes : le cédant doit simplement être un apporteur en capital et ne doit pas exercer d’activité professionnelle au sein de la société.
3.2.2. Le régime fiscal des plus-values professionnelles
Lorsqu’un associé personne physique exerce son activité professionnelle dans le cadre d’une société relevant du régime fiscal des sociétés de personnes (article 8 du code général des impôts), alors ses parts sociales sont considérées fiscalement comme des éléments d’actif affectés à l’exercice de sa profession (151 nonies, I du code général des impôts).
Ainsi, la double casquette de la personne qui apporte des capitaux et participe directement à l’exploitation de la société émettrice justifie l’application du régime des plus-values professionnelles en cas de cession.
Contrairement aux plus-values privées, le mode de calcul de l’imposition des plus-values professionnelles issues d’une cession prendra en compte le régime fiscal de la société émettrice (IR ou IS).
3.3. Les régimes spéciaux : cas d’exonération de plus-value dans le cadre du Pacte Dutreil
Le Pacte Dutreil est un dispositif instauré par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 qui permet de bénéficier d’un allégement substantiel du taux des droits de mutation à titre gratuit (en cas de transmission d’une entreprise ou de titres par voie de donation ou de succession).
En effet, si les conditions de mise en œuvre sont réunies, les biens visés par le pacte seront exonérés de droits de mutation à hauteur de 75 % de leur valeur. A cet abattement de 75 %, peut être ajoutée une réduction de la moitié des droits de mutation lorsque la donation s’effectue en pleine propriété avant les 70 ans du donateur (art. 790 du code général des impôts).
Pour pouvoir profiter de ce régime fiscal de faveur, il est nécessaire de souscrire au préalable un double-engagement de conservation des titres : un engagement collectif de conservation des titres souscrits par au moins 2 associés, pour une durée minimale de 2 ans d’une part et un engagement individuel de conservation des titres souscrits par les héritiers ou donataires au moment du décès ou de la donation pour une durée de 4 ans d’autre part.
Ensuite, il convient de souscrire aux conditions suivantes :
* L’engagement collectif doit porter sur au moins 34 % des titres ;
* Seuls les titres mentionnés dans l’engagement collectif pourront bénéficier de la réduction de droits de mutation ;
* Le période de 4 ans ne débute qu’à l’expiration de l’engagement collectif, lequel peut être reconduit tacitement ;
* L’un des héritiers, donataires ou légataires, ou l’un des associés ayant souscrit l’engagement collectif de conservation des titres doit nécessairement exercer une fonction dirigeante dans la société pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois ans qui suivent la date de la transmission ;
Toutes ces conditions ont des implications importantes et nécessitent donc une attention particulière. En effet, ces conditions viennent limiter temporairement la possibilité de céder librement les titres hérités, donnés ou légués et viennent « forcer » l’implication de l’héritier, donataire ou légataire dans les affaires de l’entreprise dont les parts ont été ainsi cédées.
Dans une décision en date du 24 novembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation contrôle une clause aux termes de laquelle le cédant conservait une partie de cession déjà versée en cas de résolution de la vente. Elle estime « que cette clause n’avait pas pour objet de permettre au cédant de percevoir deux fois le prix des parts sociales mais seulement de lui permettre, en cas de résolution de la cession desdites parts, de conserver les sommes déjà versées par le cessionnaire à titre de paiement partiel ».
En l’espèce une cession de parts sociale prévoyait le paiement en douze annuités. Le contrat de cession stipulait qu’ « à défaut de règlement d’une seule annuité aux dates et montant convenus, l’intégralité du prix de cession deviendra immédiatement exigible et les sommes versées jusqu’au défaut de règlement, seront allouées au cédant, à titre de premiers dommages et intérêts lequel pourra poursuivre comme bon lui semble le cessionnaire, soit en paiement du solde du prix de cession, soit en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts ».
Invoquant la défaillance du cessionnaire dans le paiement du prix, le cédant l’a assignée en résolution de la cession et aux fins d’application de la clause pénale insérée dans le contrat.
Les juges du fond rejetèrent l’application de la clause pénale. Le cédant forma alors un pourvoi en cassation. La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et livre l’analyse suivante : « cette clause n’avait pas pour objet de permettre au cédant de percevoir deux fois le prix des parts sociales mais seulement de lui permettre, en cas de résolution de la cession des dites parts, de conserver les sommes déjà versées par le cessionnaire à titre de paiement partiel ».
[L’avis du Cabinet]
Les cessions de titres font l’objet d’aménagement contractuel qui permettent de satisfaire les intérêts des parties en présence. Le prix de cession est à ce titre un enjeu crucial et l’objet d’intenses négociations. La question de son paiement est d’égale importance. S’il est intéressant d’obtenir un bon prix, cela ne tient qu’à son paiement effectif. Pour ce faire, les parties au présent contentieux avaient prévu un paiement échelonné en douze annuités. En sus de cet étalement du paiement, les parties avaient insérée à l’acte une clause selon laquelle à défaut de règlement d’une seule annuité aux dates et montant convenus, l’intégralité du prix de cession deviendrait immédiatement exigible et les sommes versées jusqu’au défaut de règlement, seraient allouées au cédant, à titre de premiers dommages et intérêts lequel pourrait poursuivre comme bon lui semble le cessionnaire, soit en paiement du solde du prix de cession, soit en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts.
A la faveur d’un défaut de paiement, le cédant avait excipé la clause. Les juges du fond leur en avaient pourtant refusé le bénéfice. Pour eux, la mise en œuvre de cette clause obligeait le cessionnaire à régler une deuxième fois le prix des parts sociales sans cependant pouvoir en avoir le bénéfice.
Au visa de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, la Haute juridiction censure. L’objet de la clause n’était en aucun cas de prévoir un double paiement mais de permettre la conservation des sommes déjà versées en cas de défaillance. Cette sanction contractuelle par le jeu d’une clause pénale était donc parfaitement admissible, sauf pour le juge à en constater l’excès. Ce qui notons le ne lui auront finalement permis que de ramener la clause à de justes proportions, conformément à l’article 1231-5 du code civil.
Dans une décision en date du 12 mai 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation admet l’annulation d’une cession d’actions lorsque le consentement a été vicié par un dol. Elle rappelle que pour ce faire il reste nécessaire de démontrer l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements.
En l’espèce, à la suite d’une opération globale de cessions de droits sociaux, le cédant avait découvert un certain nombre d’anomalies comptables au sein des sociétés composant le groupe.
Une clause de garantie de passif insérée à l’acte fut d’abord mise en œuvre, ce qui conduisit à la constatation d’une réduction du prix de cession dans un protocole d’accord. Par la suite, les sociétés du groupe ont été placées en redressement puis en liquidation judiciaires.
Les cédants ont alors été assignés en annulation de la cession des actions pour dol.
Les juges du fond firent droit à la demande et prononcèrent la nullité conduisant à la formation d’un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et rappelle « qu’en application de l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans elles, l’autre partie n’aurait pas contracté […] ».
La cour d’appel avait justement relevé que le chiffre d’affaires avait été systématiquement et artificiellement gonflé, que la comptabilité de cette société présentait des factures fictives, des doubles factures, des surfacturations ou des doubles règlements pour une même facture, que les produits d’exploitation de la société avaient été artificiellement majorés par de fausses facturations. Les juges du fond ont par ailleurs relevé un ensemble de malversations et fraudes opérées à la fois pour présenter une image fausse de la situation des entreprises et pour dissimuler des détournements au profit de particuliers. Enfin et contrairement aux déclarations du cédant les juges du fond ont souligné que toutes les sociétés étaient de fait en état de cessation des paiements avant les cessions.
« En l’état de ces motifs, faisant ressortir l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements, la cour d’appel, qui a procédé aux recherches invoquées par les premières et deuxièmes branches, a pu, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, déduire que le dol était caractérisé ».
[L’avis du Cabinet]
Les cessions de droits sociaux s’analysent comme des ventes et les règles du code civil y afférentes sont applicables. Parmi celles-ci, les règles relatives à l’intégrité du consentement déploient leur protection. A ce titre le dol est souvent invoqué dans les cessions de droits sociaux mais finalement que difficilement retenu.
Pour mémoire, l’article 1116 dans son ancienne rédaction prévoyait que : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté », ce que vient ici rappeler la Haute juridiction.
En l’occurrence, la cession des droits sociaux litigieuse s’était accompagnée d’un certain nombre de faits plutôt accablant. Postérieurement à la cession, le cessionnaire avait découvert un ensemble de pratiques douteuses : comptabilité comprenant des factures fictives, doubles factures, surfacturations ou doubles règlements pour une même facture, produits d’exploitation artificiellement majorés par de fausses facturations, malversations et fraudes opérées à la fois pour présenter une image fausse de la situation des entreprises et pour dissimuler des détournements d’actifs. Par ailleurs, il était apparu que la société dont les titres avaient été cédés était d’ores et déjà en cessation des paiements au moment de la conclusion de l’acte de cession.
De tous ces éléments la Haute juridiction retient « l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements ». Le dol était en l’espèce bien caractérisé et la cession devait être annulée.
En l’espèce la mauvaise comptabilité ne relevait pas d’une simple irrégularité mais d’un système de fraude destiné à donner une image tronquée des finances du groupe. Cela à telle enseigne que les sociétés avaient par la suite fait l’objet d’un redressement et d’une liquidation judiciaire, à l’occasion desquels la date de cessation des paiements avait été fixée antérieurement à la cession.
Effectivement, le dol nécessite que soit démontrer l’intention de tromper. Il s’agit là de l’élément central qui le distingue du simple manquement à une obligation d’information. Le cédant souhaitait provoquer une erreur chez son contractant pour le pousser à s’engager dans la relation contractuelle. Cette duperie est telle que si l’intéressé l’avait connue il n’aurait pas contracté. C’est bien le cas d’une société que l’on pensait solvable alors que son impécuniosité était déjà bien réelle !
La solution ainsi dégagée devrait se maintenir en application de l’article 1137 du code civil qui prévoit désormais que : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».
Dans une décision en date du 10 novembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique qu’il est possible que la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre soient restreintes par le jeu de la garantie d’éviction en matière de cessions de droits sociaux. Toutefois, cette restriction ne vaut qu’à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.
En l’espèce les associés fondateurs d’une société spécialisée dans l’édition de solutions informatiques ont cédé en 2007 leurs titres à une société Linagora, dont ils sont devenus par ailleurs associés. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société dont les titres avaient été cédés.
Postérieurement, les intéressés ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011. Ils ont par la suite ensemble créée une nouvelle société.
Invoquant notamment la garantie légale d’éviction, la société Linagora les a assignés en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice. Les juges du fond ont accédé à cette demande, conduisant à la formation d’un pourvoi en cassation.
La Chambre commerciale censure l’arrêt d’appel en ces termes :
« Vu les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil : 7. Il se déduit de l’application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. 8. Pour dire que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, leur interdire d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO et dire que du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l’égard de la société Linagora GSO, l’arrêt constate que M. [N] et M. [W] se sont rétablis, par l’intermédiaire de la société Blue Mind, dans le même secteur d’activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent. Il relève également qu’ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel OBM, qu’ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l’activité de la société Linagora GSO et que les clients se sont détournés de cette dernière après le départ de M. [N] et M. [W] pour contracter avec la société Blue Mind à la suite d’une procédure d’appel d’offres à laquelle celle-ci avait répondu. Il retient enfin que leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Linagora GSO, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité. 9. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
[L’avis du Cabinet]
Les cessions de droits sociaux s’analysent comme des ventes et les règles du code civil y afférentes sont applicables. Parmi celles-ci, l’article 1626 prévoit le mécanisme suivant : « Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ».
En l’espèce, la cession de titres concernait une société ayant une activité commerciale. Les cessionnaires entendaient se prévaloir de la garantie d’éviction dans la mesure où les cédants avait constitué plusieurs années après une nouvelle entité dans le même secteur d’activité que la société cédée pour offrir un produit concurrent à celui précédemment développé. Les juges du fond avaient admis retenu la garantie d’éviction à cet égard.
La Haute juridiction censure cette solution et admet le jeu d’un contrôle de proportionnalité en la matière. En l’occurrence la chambre commerciale reproche à la cour d’appel d’avoir retenue le bénéfice de la garantie « après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ».
Au regard du contexte, les juges du fond auraient dû proposer une analyse in concreto pour apprécier les intérêts en présence et admettre ou non l’interdiction de se rétablir. Les magistrats du Quai de l’Horloge procèdent dans cet arrêt à une intéressante mise en balance des intérêts du cédant et du cessionnaire. Elle ouvre toutefois la voie d’un contentieux judiciaire important sur la question, ce qui ne peut qu’inciter à l’anticipation contractuelle.