[Résumé]
Dans une décision du 1e décembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation décide que le dépôt par le dirigeant d’une SARL d’un brevet dont il est l’inventeur en nom propre ne constitue pas une faute de gestion, quand bien même la SARL se serait contractuellement engagée à le faire pour elle-même.
(Cour de cassation, Chambre commerciale, 1 décembre 2021, 19-25.905, Inédit)
[Rappel des faits et de la procédure]
En l’espèce deux sociétés sont convenues par un accord le versement, par la première à la seconde, une SARL, d’une avance en contrepartie de l’engagement de cette dernière de développer un procédé et de déposer avant le 31 décembre 2013, pour le compte exclusif de la première société, un brevet portant sur ce procédé sous peine de devoir rembourser le montant de l’avance.
À l’occasion d’une réunion, il fut décidé que le brevet serait déposé au nom de la ARL et qu’un accord serait négocié sur la répartition du bénéfice du brevet et sur la rémunération, par la société, de la cession de tout ou partie du brevet.
Par la suite, le dirigeant de la SARL, inventeur du procédé objet de l’accord, a déposé le brevet à son nom.
Estimant que l’accord n’avait pas été exécuté, la société a formé une demande en remboursement de l’avance dirigée contre la SARL et engagée une action en responsabilité contre le dirigeant.
La Haute juridiction décide que :
« Vu les articles 1165 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et L. 223-22, alinéa 1er, du Code de commerce :
Aux termes du premier de ces textes, les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes. Selon le second, les gérants de société à responsabilité limitée sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, des fautes commises dans leur gestion.
Pour retenir la responsabilité personnelle de M. U. à raison de sa gestion de la société Coretecholding, l’arrêt, après avoir souligné que l’exécution de l’accord passé entre les sociétés Unither et Coretecholding supposait que le demandeur du brevet fût la société Coretecholding, retient qu’en déposant la demande de brevet à son nom, M. U. a privé la société Coretecholding de tout droit sur ce brevet et qu’en faisant ainsi fi de l’accord qu’il avait pourtant lui-même signé en qualité de gérant, il a commis, dans la gestion de cette société, une faute personnelle détachable de son mandat.
En statuant ainsi, alors, d’une part, qu’elle avait constaté que M. U. était l’unique inventeur du procédé breveté et qu’il n’était pas personnellement lié par l’accord conclu entre les sociétés Unither et Coretecholding, de sorte qu’il était en droit de déposer le brevet à son nom, et, d’autre part, qu’ayant été effectué par M. U. à titre personnel, et non en qualité de gérant, ce dépôt ne pouvait pas constituer une faute commise dans la gestion de la société Coretecholding, la cour d’appel a violé les textes susvisés […]
Vu les articles 1382, devenu 1240, du Code civil et L. 223-22, alinéa 1er, du Code de commerce :
Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte du second que la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions et qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.
Pour retenir la responsabilité personnelle de M. U. à raison de sa gestion de la société Coretecholding, l’arrêt retient encore que le défaut de restitution à la société Unither de la somme de 17 000 euros exigible au 31 mars 2014, à une époque où rien ne permettait de retenir que la société Coretecholding ne disposait pas des fonds suffisants pour y procéder, résulte uniquement de la résistance fautive imputable à M. U.
En se déterminant ainsi, sans établir que cette résistance fautive constituait une faute d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ».