N’est pas nulle la décision qui accorde au dirigeant une rémunération au seul motif qu’elle est contraire à l’intérêt social

[Résumé]

Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise, en matière de droit des sociétés, qu’une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés.

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 janvier 2021, 18-21.860, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un dirigeant majoritaire ainsi que son épouse envisagent de céder l’intégralité des parts sociales qu’ils détiennent dans le capital de la société à responsabilité limité au profit d’un cessionnaire unique. Une promesse de cession est signée sous certaines conditions suspensives.

Avant la réitération de la vente des parts, les cédants convoquent et tiennent deux assemblées générales aux termes desquelles deux primes conséquentes sont consenties au cédant dirigeant majoritaire. L’une correspond à sa fonction de mandataire social, l’autre à un simple rappel de salaire.

Postérieurement à la réitération de la vente des parts, le cessionnaire refuse de verser les primes au cédant au motif qu’elles caractériseraient des actes anormaux de gestion mettant en péril les intérêts de la société.

C’est dans ces conditions que le cédant bénéficiaire des primes saisi le tribunal de commerce de Bourges aux fins de paiement desdites primes. En défense, le cessionnaire demande l’annulation des résolutions prises en assemblées générales sur le fondement de l’abus de majorité. Les juges de première instance considèrent, d’une part, qu’il n’y a pas eu abus de majorité au motif que « les décisions [ont] été prises en adéquation avec la situation financière de la société et à l’unanimité lors des assemblées générales » et, d’autre part, que le formalisme prévu aux statuts a parfaitement été respecté. Ils rejettent donc l’argument du cessionnaire et condamnent la société au paiement des primes.

Le cessionnaire interjette appel. Par un arrêt du 14 juin 2018, la Cour d’appel de Bourges infirme la décision de première instance, annule les délibérations adoptées lors des deux assemblées générales et juge que les primes constituaient une rémunération abusive car manifestement excessive et contraire à l’intérêt social.

Le cédant forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure les juges du fond en ces termes : « en statuant ainsi, sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l’intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s’imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats, ni relever l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit commis par un ou plusieurs associés, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Cette décision est prise au visa, notamment, de l’article L. 235-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises aux termes duquel une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés.

[L’avis du Cabinet]

Cette décision parait conforme à l’orthodoxie juridique. En effet, il semble que le cessionnaire ait été négligeant dans l’opération d’acquisition qui précisait justement l’existence de cette prime. A court d’argument, le cessionnaire a sans doute tenté le tout pour le tout postérieurement à l’opération mais cette action était vouée à l’échec. Peut-être la mise en œuvre de la clause de garantie d’actif passif aurait-elle été plus efficace…

Le nouvel article L. 235-1 alinéa 2 du code de commerce dispose que « La nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre, à l’exception de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 du code civil. »

La garantie d’actif passif et la faute de gestion du dirigeant cédant de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision du 22-09-2021, la Cour de cassation indique que la mise en œuvre d’une garantie de passif implique la démonstration d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 22 septembre 2021, 19-22.938)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un associé à hauteur de 50 % et gérant d’une, a cédé la totalité des parts qu’il détenait dans cette société à une autre personne morale déjà titulaire de 40 % du capital, au prix de 30 000 € payable en trois échéances. L’acte comportait une garantie d’actif et de passif.

Postérieurement à la cession, il est apparu que M. X avait commis des irrégularités dans la gestion de la société. Un expert fut désigné en référé ayant notamment pour mission de donner son avis sur les éventuels responsabilités et préjudices subis par cette société.

Eu égard au rapport de l’expert sur les fautes de gestion, le cessionnaire a assigné en paiement le cédant au titre de sa responsabilité et de la mise en œuvre de la garantie d’actif et de passif. Sur le fondement de cette dernière, les juges du fond ont condamné le dirigeant cessionnaire au paiement de 81 267,04 €. Un pourvoi a été formé.

Par un arrêt du 22-09-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« En se déterminant par de tels motifs, impropres à établir l’existence d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement, conditions nécessaires à la mise en œuvre de la garantie d’actif et de passif incluse dans l’acte de cession, peu important que cette diminution de l’actif ou cette augmentation du passif aient pour origine des fautes de gestion, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

[L’avis du Cabinet]

Les garanties d’actif et de passif sont des mécanismes particulièrement utiles et fréquemment utilisées dans les cessions de droits sociaux. Elles permettent au cessionnaire des titres de se prémunir contre une révélation de passif ou une diminution de l’actif ultérieure à la signature de la cession mais dont le fait générateur est antérieur.  D’un côté elles permettent au cédant de négocier la vente au meilleur prix, de l’autre elles offrent une sécurité contractuelle au cessionnaire devant l’apparition de mauvaise surprise postérieurement à la cession.

En parallèle, il est fréquent que le repreneur d’une société, à la faveur d’une analyse du comportement de l’ancien dirigeant, identifie un certain nombre d’actes préjudiciables à la société relevant de la qualification de fautes de gestion. La responsabilité de l’ancien dirigeant sera alors recherchée à ce titre.

C’est la rencontre de ces deux hypothèses que le présent arrêt met en lumière. Le cessionnaire des titres avait postérieurement à la cession fait la découverte de prétendues fautes de gestion dont il avait tenté de rechercher indemnisation des conséquences par le truchement de la clause de garantie d’actif et de passif.

Pour ce faire, et c’est le mérite du présent arrêt, encore faut-il pour le bénéficiaire de la clause de garantie de passif respecter les conditions de sa mise en œuvre.

Que la diminution de l’actif ou l’augmentation du passif aient pour origine d’éventuelles fautes de gestion ne suffit pas pour bénéficier de la couverture du mécanisme contractuel. Il faut pour le bénéficiaire de la garantie apporter la démonstration « d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement ».

La nécessité de respecter formalisme de la procédure d’agrément dans les SARL

La nécessité de respecter formalisme de la procédure d’agrément dans les SARL

[Résumé]

Dans une décision du 14 avril 2021, la Cour de cassation rappelle que dans une SARL le projet de cession de parts intervenant au bénéfice d’un tiers doit, conformément à l’article L. 223-14 du code de commerce, être notifiée à la société et à chacun des associés. A défaut, la cession litigieuse encourt la nullité.

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 avril 2021, 19-16.468, Inédit)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, les seuls associés d’une SARL, ont, chacun, cédé les parts qu’ils détenaient dans le capital de celle-ci, à deux personnes physiques.

Par la suite, les cédants ont assigné en nullité de la cession les cessionnaires. Ils soutenaient que ces cessions étaient intervenues en violation des dispositions de l’article L. 223-14 du code de commerce imposant la notification du projet de cession à chacun des associés et à la société.

Les juges du fond ont alors prononcé la nullité de la cession litigieuse. Un pourvoi en cassation a été formé.

Par un arrêt du 14-04-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« Ayant relevé qu’aucune notification du projet de cession à la société et à chacun des associés n’était versée au débat et retenu qu’en raison du caractère d’ordre public de l’article L. 223–14 du code de commerce, il convenait de respecter scrupuleusement le formalisme légal, aucune confirmation implicite de la cession ne pouvant faire échec à l’annulation d’une cession effectuée en violation de ce formalisme, c’est à bon droit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la deuxième branche ni de répondre aux conclusions invoquées par la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérantes, a prononcé l’annulation des cessions litigieuses».

Faute d’avoir respectée le formalisme imposé par le code de commerce à l’article L. 223-14 du code de commerce, la cession pouvait donc être annulée.

[L’avis du Cabinet]

Les cessions de parts de SARL sont fréquentes et il convient d’y porter une attention particulière. Le code de commerce exige en son article L.223-14 qu’elle fasse l’objet d’un agrément lorsqu’elles interviennent au bénéfice d’un tiers à la société. Il faut pour ce faire réunir une double majorité, en voix et en capital. La cession ne peut intervenir qu’avec « le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte ».

Mais à cela s’ajoute une condition de forme dont le présent arrêt rappelle toute l’importance.

L’alinéa 2 de l’article L. 223-14 du code de commerce exige que le projet de cession fasse l’objet d’une notification à la société et à chacun des associés. En l’espèce la Haute juridiction s’attache à respecter rigoureusement ce formalisme en y appliquant une sanction lourde, la nullité.

Elle indique que ce formalisme est d’ordre public.  Il ne peut lui être substitué aucune confirmation implicite de la cession comme le soutenaient les cessionnaires. Le fait qu’il résulte du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire que le projet de cession avait été soumis à l’approbation des associés ne permettait pas de pallier l’absence de respect du formalisme légal. Orthodoxe, la Haute juridiction fait une lecture littérale de l’exigence formelle de notification du projet de cession à la SARL et ses associés.

Refus de la reprise implicite d’un acte passé pour une société en formation

[Résumé]

Dans une décision du 16-09-2021, la Cour de cassation rappelle que seules les modalités prévues par l’article 6 du décret du 3 juillet 1978 permettent la reprise des actes passés au nom et pour le compte d’une société en formation. Il en ressort qu’il n’est pas possible d’admettre la reprise implicite d’un acte.

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 septembre 2021, 20-17.372, Inédit)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, des particuliers, M. et Mme X, ont accepté un devis pour l’achat d’une maison en kit bois. Peu de temps après, a été créée une société civile immobilière dont Mme X est devenue la gérante.

Se plaignant de désordres et d’un retard de chantier, la SCI a assigné les constructeurs en indemnisation.

Les juges du fond ont alors déclaré irrecevable les demandes de la SCI faute de qualité à agir. Un pourvoi en cassation a été formé.

Par un arrêt du 16-09-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« 7. Selon les dispositions de l’article 6 du décret du 3 juillet 1978, la reprise des engagements souscrits pour le compte d’une société civile en formation doit être expresse et résulte soit de la présentation aux associés, avant la signature des statuts, de l’état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, annexé aux statuts, soit d’un mandat donné par les associés à l’un ou plusieurs d’entre eux, ou au gérant non associé, de prendre des engagements pour le compte de la société, soit encore, après l’immatriculation de la société, d’une décision prise à la majorité des associés ».

Faute d’avoir respecté l’une de ces modalités de reprises, la SCI n’avait donc pas qualité à agir en indemnisation contre les constructeurs.

[L’avis du Cabinet]

La formation d’une société n’est pas instantanée et peut s’étirer dans le temps, du projet à l’immatriculation en passant par la signature des statuts. Or cette période peut être ponctuée par la conclusion de certains contrats alors que la société est encore en gestation.

Ces actes conclus par les futurs associés sont en principe destinés à être par la suite assumés par la société régulièrement immatriculée. Les actes ne peuvent être valablement repris qu’en suivant trois modalités précises énoncées par l’article 6 du décret du 3 juillet 1978. C’est ce que rappellent ici clairement et fermement les Hauts magistrats.

La reprise des engagements souscrits pour le compte d’une société civile en formation doit être expresse et résulte soit de la présentation aux associés, avant la signature des statuts, de l’état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, annexé aux statuts, soit d’un mandat donné par les associés à l’un ou plusieurs d’entre eux, ou au gérant non associé, de prendre des engagements pour le compte de la société, soit encore, après l’immatriculation de la société, d’une décision prise à la majorité des associés.

L’argument tenant dans l’existence d’une reprise implicite est donc voué à l’échec et le seul respect des conditions ci-dessus énumérées permet à la société constituée d’assumer les engagements.

Focus sur les critères de l’abus de minorité en assemblée générale

[Résumé]

Dans une décision du 09-06-2021, la Cour de cassation revient sur les conditions d’une action fondée sur l’abus du droit de vote. Elle rappelle que pour être constitutif d’un abus de minorité, l’opposition d’un associé à l’adoption d’une résolution doit procéder de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 juin 2021, 19-17.161, Inédit)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce une SCI avait été constitué entre trois associés respectivement détenteurs de six parts chacun pour les deux premiers et quatre parts pour le dernier. Cette société était propriétaire d’un unique bien mis en location à une SARL constituée entre les mêmes associés. Or l’un des associés avait refusé de voter en faveur de la vente du bien immobilier donné à bail à la SARL. Les autres associés saisirent le juge des référés aux fins de désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission d’exercer à sa place le droit de vote attaché à ses parts lors de la prochaine assemblée générale ayant pour ordre du jour cette vente. Ils soutenaient que seule cette vente était en mesure de reconstituer la trésorerie de la SCI. Les juges du fond acceptèrent la demande ainsi formée, ce qu’entendait critiquer le pourvoi en cassation.

La Haute juridiction dans une décision du 09-06-2021 rendue au visa de l’article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction alors applicable énonce que : « L’existence d’un abus de minorité suppose que la preuve soit rapportée, d’un côté, que l’attitude du minoritaire est contraire à l’intérêt général de la société et, de l’autre, qu’elle procède de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».

En conséquence, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond pour ne pas avoir caractérisé en quoi le refus du minoritaire « de voter pour la vente du bien litigieux procédait de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».

[L’avis du Cabinet]

Pour rappel, l’abus de minorité permet de sanctionner l’usage à mauvais escient qu’un associé minoritaire ferait de son droit de vote. S’il peut l’exprimer dans le sens qu’il souhaite, il convient que ce vote ne dégénère pas en abus. La jurisprudence a pour cela poser des conditions. Elle estime que le vote est abusif lorsqu’il est contraire à l’intérêt général de la société et exercé dans l’unique dessein de favoriser les intérêts du minoritaire au détriment des autres associés.

En l’espèce, les Hauts magistrats font une application orthodoxe de ses conditions puisqu’ils censurent une décision qui avait admis l’abus sans caractériser les vues égoïstes de l’associé refusant de voter pour la vente du bien immobilier de la société civile. Les critères énoncés pour l’identification d’un abus du droit de vote sont donc bien cumulatifs et non alternatifs comme le rappelle ici la Cour de cassation.

Les juges du droit entendent réserver la qualification d’abus du droit de vote aux hypothèses les plus pathologiques. Droit fondamental de l’associé s’il en est, ce droit doit pouvoir s’exercer librement, la sanction de l’abus n’intervenant que marginalement. Le dessein égoïste pourra les cas échéant être démontré par la volonté de nuire du minoritaire ou encore tout autre motivation qui l’avantagerait personnellement. Il faudra néanmoins en toutes hypothèses prendre bien soin de la prouver.

Il faut souligner que lorsque l’abus sera effectivement caractérisé, la sanction consistera pour le juge en la désignation d’un mandataire ad hoc chargé d’exercer le droit vote en lieu et place de l’associé minoritaire récalcitrant (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 9 mars 1993, 91-14.685, Publié au bulletin).

Le sort des contrats conclus par une société en formation

[Résumé]

Dans une décision du 10-02-2021, la Cour de cassation revient sur les contrats conclus pendant la période de formation d’une société. Elle rappelle que « les contrats conclus par une société non immatriculée, donc dépourvue de personnalité juridique, sont nuls ».

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 février 2021, 19-10.006, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce une société avait conclu plusieurs contrats avec une EURL désignée comme société en cours d’immatriculation, représentée par son gérant. L’EURL fut par la suite immatriculée et dans le courant de la même année placée en liquidation judiciaire. Le contractant estimant que le gérant était solidairement responsable des engagements souscrits par l’EURL l’a assigné en paiement. Les juges du fond ayant rejeté cette demande, un pourvoi en cassation a été formé.

La Haute juridiction dans une décision du 10-02-2021 énonce à la suite de la juridiction d’appel que : « l’EURL […] avait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 26 juin 2015, postérieurement à la conclusion des contrats dont se prévalait la société Coop Atlantique au soutien de sa demande, datés du 18 mai 2015, l’arrêt énonce que, pour être fondée à agir à l’encontre de l’associé de la société […], la société Coop Atlantique doit démontrer que celui-ci avait contracté pour le compte de la société en cours de formation. L’arrêt retient qu’à la lecture des contrats, il apparaît que le co-contractant de la société Coop Atlantique est la société […], en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par son gérant M. F…, ce dont il déduit que ce n’est pas ce dernier qui a agi pour le compte de la société en sa qualité d’associé ou de gérant mais la société elle-même, peu important qu’il ait été indiqué que celle-ci était en cours d’immatriculation, cette précision ne modifiant en rien l’indication de la société elle-même comme partie contractante. En l’état de ces motifs, et dès lors que les contrats conclus par une société non immatriculée, donc dépourvue de personnalité juridique, sont nuls, la cour d’appel a exactement retenu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, que M. F… ne pouvait être tenu des obligations résultant des contrats litigieux ».

En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

[L’avis du Cabinet]

La formation d’une société n’est pas instantanée et peut s’étirer dans le temps, du projet à l’immatriculation en passant par la signature des statuts. Or cette période peut être ponctuée par la conclusion de certains contrats alors que la société est encore en gestation.

Ces actes conclus par les futurs associés sont en principe destinés à être par la suite assumés par la société régulièrement immatriculée. Les actes ne peuvent être valablement repris qu’en suivant trois modalités précises. Ils peuvent être indexés dans un état au statut, la signature emportant reprise. Ils peuvent également être conclus par le truchement d’un mandat donné à cette fin. Enfin ils peuvent être repris à la faveur d’une assemblée générale postérieurement à l’immatriculation.

Mais pour cela il est nécessaire que ces actes aient bien conclus été au nom et pour le compte de la société en formation. C’est ce que vient rappeler en l’espèce la Haute juridiction. Ces contrats ne sauraient l’être par la société en formation elle-même, puisqu’elle n’a pas d’existence juridique. Le cas échéant le risque juridique qui pèse sur le contrat est grand puisque la sanction réside dans la nullité comme vient de le souligner la chambre commerciale. Cette solution tout à fait orthodoxe invite les contractants à la plus grande attention.

Le quitus donné par l’assemblée des associés ne peut avoir d’effet libératoire au profit du dirigeant pour les fautes commises dans sa gestion

[Résumé]

 

Dans une décision du 27-05-2021, la Cour de cassation décide que le quitus donné par l’assemblée des associés ne peut avoir d’effet libératoire au profit du dirigeant pour des fautes de gestion qu’il a commises

 

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 27 mai 2021, 19-16.716, Publié au bulletin)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce une SCI avait assigné son ancien dirigeant pour des fautes qu’il avait commises à l’occasion de sa gestion.

 

Les juge du fond avaient condamné l’ancien mandataire sociale à réparer les fautes dont il était l’auteur. Le pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel entendait critiquer cette solution. L’ancien dirigeant tentait en effet de s’abriter derrière l’assemblée générale qui l’avait absous de sa faute en pleine connaissance de l’acte reproché et des circonstances l’entourant. Il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer.

 

La Haute juridiction dans une décision du 27-05-2021 rejette le pourvoi et estime que la juridiction d’appel après avoir rappelé « qu’en application de l’article 1843-5, alinéa 3, du code civil, aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat (…) Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à l’information des associés, que le quitus donné par l’assemblée des associés ne pouvait avoir d’effet libératoire au profit [du dirigeant] pour les fautes commises dans sa gestion ».

 

[L’avis du Cabinet]

 

Pour rappel, l’article 1843-5 alinéa 3 du code civil prévoit qu’ « aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat ». Soulignons que ce texte s’applique à toutes les sociétés, quelle qu’en soit la forme.

 

En l’espèce, les Hauts magistrats renforcent l’indisponibilité de l’action sociale. La solution est bienvenue. Elle permet d’éviter qu’un dirigeant majoritaire ne vienne par le biais d’une décision d’assemblée générale se permettre d’échapper à sa responsabilité à l’égard de la société qu’il dirige. La position adoptée par la Haute juridiction est d’autant plus forte qu’elle concerne une décision d’assemblée générale postérieure à la faute stigmatisée. Il est donc exclu que les associés puissent en connaissance de cause ratifier un acte de gestion constituant une faute.

 

Les sociétés en tant que personnes morales indépendantes des membres qui les composent en ressortent protégées. En effet, les dommages intérêts versés au titre de l’action sociale, qu’elle soit exercée ut universi ou ut singuli, le sont au bénéfice de la société. Il est ainsi évité que les associés puissent en disposer à leur gré en assemblée. D’une manière générale, c’est l’intérêt social qui est préservé par le truchement de l’action sociale.

Dirigeant de fait : une situation risquée !

[Résumé]

 

Dans une décision du 02-06-2021, la Cour de cassation rappelle qu’une personne qui participe effectivement dans la prise de décisions importantes à la vie d’une société peut être qualifiée de dirigeante de fait. Nous préciserons les conséquences d’une telle qualification.

 

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 2 juin 2021, 20-13.735, Inédit)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire d’une société, le Tribunal de commerce prononce une interdiction de gérer à l’encontre de Mme C (dirigeante de droit de la société) mais également à l’encontre de M. P (qualifié de dirigeant de fait).

 

P interjette appel de la décision. L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui confirme la qualification de dirigeant de fait au motif que M. P disposait d’une adresse électronique personnelle au nom de la Société, qu’il était sollicité par Mme C pour toutes les décisions à prendre, que Mme C le suivait aveuglément. En outre, M. P, qui n’était ni salarié, ni dirigeant, mais détenait 70 % des parts de ladite Société, échangeait directement avec l’avocat dans le cadre d’instances en cours.

 

P forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, qu’il ne faisait qu’apporter une aide dans l’exploitation de la société et, d’autre part, qu’il n’accomplissait pas d’acte positif de gestion et de direction engageant la société.

 

Par un arrêt du 02-07-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de M. P en ces termes : « L’arrêt retient qu’au moyen d’une adresse électronique dont il disposait au sein de la société General services, c’est M. [P] qui, par ses messages, avait le « rôle moteur», Mme [C], gérante de droit, lui demandant, non seulement, son avis sur toutes les décisions importantes, mais agissant comme sa simple exécutante. Il retient, par exemple, que c’est M. [P] qui s’entretenait d’instances judiciaires en cours avec les avocats concernés et qui donnait des instructions quant à la cession d’un terrain, Mme [C] n’intervenant, dans tous les cas, que pour transmettre des documents, voire n’étant même pas informée des sujets importants. Il ajoute que M. [P], qui n’était ni salarié, ni mandataire de la société General services, donnait des consignes pour effectuer des virements et pour organiser un voyage en vue de signer des actes de cession et que ses différentes interventions auprès des salariés et prestataires extérieurs le faisaient apparaître comme ayant un rôle de décideur. De ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que M. [P] était dirigeant de fait de la société General services. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

Cet arrêt vient confirmer la position de la Cour de cassation quant aux critères de qualification du dirigeant de fait (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 septembre 2000, 99-88.011, Publié au bulletin).

 

L’intérêt de cette décision consiste à mettre en garde quiconque participe activement à la prise de décisions importantes à la vie d’une société. L’intéressé peut être qualifié de dirigeant de fait, ce qui implique de lourdes conséquences. Ainsi relève de cette qualification une personne qui « avait exercé, de façon continue et régulière, depuis l’origine de la société, créée à son initiative, une activité positive de gestion et de direction en toute liberté » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 25 janvier 1994, 91-20.007, Inédit).

 

Le dirigeant de fait ne jouit d’aucun des avantages du dirigeant de droit.

 

En revanche, il partage avec lui toutes les sources de responsabilité :

 

(1) Responsabilité civile du dirigeant de fait : le dirigeant de fait engage sa responsabilité pour les fautes qu’il aurait commises.

 

(2) Responsabilité pénale du dirigeant de fait : le dirigeant de fait est responsable pénalement des actes qu’il a accomplis à l’occasion de sa direction de fait. Sa situation est défavorable dans la mesure où il ne peut exciper une éventuelle délégation de pouvoirs.

 

(3) Responsabilités spécifiques du dirigeant de fait dans le cadre d’une procédure collective : Dans le cadre d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, le dirigeant de fait peut engager sa responsabilité en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif (art. L. 650-1 et suivants du Code de commerce). En outre, le dirigeant de fait peut être sanctionné par une mesure d’interdiction de gérer voire de faillite personnelle (art. L. 653-1 et suivants du Code de commerce). Enfin, le dirigeant de fait peut être sanctionné pénalement en cas de banqueroute (art. L. 654-1 et suivants du Code de commerce).

Le pacte d’actionnaire peut permettre l’exclusion immédiate d’un associé fautif, peu importe la question du prix

[Résumé]

 

Dans une décision du 13 janvier 2021, la Cour de cassation valide l’efficacité d’un pacte d’actionnaire qui, sur la question de la cession forcée des titres d’un actionnaire fautif, distingue le temps du transfert de propriété de celui du paiement du prix.

 

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 janvier 2021, 19-11.726, Inédit)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, le capital de la société X est détenu par 3 actionnaires : la société Y, M. C et M. H. Il se trouve que ce dernier est également salarié de la société X. Le 22 mars 2016, M. H est licencié pour faute grave. Il conteste cette mesure disciplinaire devant le conseil de prud’hommes et, le 8 septembre 2016, il est embauché par une société tierce et concurrente. Or, le pacte d’actionnaire prévoit notamment qu’en cas d’embauche de M. H par une entreprise concurrente, celui-ci serait tenu de céder ses actions à première demande de l’actionnaire majoritaire.

 

C’est dans ces conditions que la société X, M. C et la société Y saisissent en référé le Président du Tribunal de commerce de Pau pour que soit ordonnée, en application du pacte d’actionnaires, la cession des actes détenues par M. H. Le Président fait droit cette demande et ordonne la cession forcée.

 

H interjette appel de la décision et porte l’affaire devant la Cour d’appel de Pau qui confirme la décision du Président du Tribunal de commerce de Pau.

 

H forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, qu’aucun accord n’avait été trouvé sur le prix de la cession en méconnaissance de l’article 1583 du Code civil et, d’autre part, que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur.

 

Par un arrêt du 13 janvier 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejeté le pourvoi formé par M. H au visa du pacte d’actionnaires et rappelle qu’« après avoir relevé qu’il ressortait du pacte d’actionnaires qu’en cas d’embauche de M. H… par une entreprise concurrente, celui-ci serait tenu de céder ses actions à première demande de l’actionnaire majoritaire et que le prix, par principe déterminé d’un commun accord entre les parties, serait alors payable comptant, à la date de la cession, sauf si, par suite d’un désaccord entre elles, le recours à une expertise s’avérait nécessaire, auquel cas le prix serait alors payable dans les huit jours de sa fixation par l’expert choisi d’un commun accord ou désigné par le juge des référés, l’arrêt retient que la formalisation de la cession des actions et le paiement du prix peuvent intervenir à deux moments différents, en cas de désaccord nécessitant un recours à l’expertise, et que le désaccord sur le prix n’est pas de nature à remettre en cause l’obligation principale pesant sur M. H… de céder ses parts sociales à la première demande de la société […] . »

 

[L’avis du Cabinet]

 

Cette décision a d’abord le mérite de militer en faveur de l’intérêt social. Lorsqu’en application du pacte d’actionnaire la société met en œuvre la procédure de cession forcée des actions d’un actionnaire, celui-ci n’est pas en mesure de bloquer sa sortie par une manouvre dilatoire telle que le refus d’acceptation du prix. Il est désormais prévu que le pacte peut parfaitement prévoir deux temps distincts entre celui de la cession et celui du paiement.

 

Cette décision a ensuite le mérite de mettre en lumière la nécessité de rédiger avec soin les clauses des pactes prévoyant les modalités de la cession forcée de la totalité des actions d’un minoritaire si le majoritaire entend que la « sortie » de l’intéressé soit immédiate, notamment pour se prémunir contre des problèmes de concurrence ou de confidentialité.

Quand le rachat d’actions tourne mal … : le cessionnaire découvre une prime exceptionnelle à verser au cédant, en sus du prix de cession.

Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question, en droit des sociétés, de la validité d’une délibération octroyant une rémunération exceptionnelle du dirigeant.

 

En l’espèce, après avoir consenti une promesse de cession de tous les titres de leur société pour un prix fixé à 8000 euros, les deux époux cessionnaires convoquent une assemblée générale de la société et accordent à l’époux dirigeant deux primes exceptionnelles d’un montant excédant 86.000 euros. Finalement, la promesse de cession est réitérée le par acte du 4 décembre 2014. L’acte mentionne l’existence de la prime exceptionnelle votée en assemblée générale.

 

Dans ses nouvelles fonctions, le cessionnaire des titres (devenu actionnaire unique et dirigeant) refuse de verser la prime au cédant au motif qu’il s’agirait d’un acte anormal de gestion contraire à l’intérêt social. Ce dernier saisi la justice et demande le paiement en application de l’assemblée générale. En opportunité, le cessionnaire agit en nullité des résolutions litigieuses de l’assemblée générale octroyant la prime sur le fondement de l’abus de majorité.

 

La Cour d’appel de Bourges accueille favorablement cette demande de nullité.

 

Cet arrêt est cassé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 janvier 2021. Les hauts magistrats rappellent à juste titre, au visa de l’article L. 235-1 du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi Pacte) que les critères alternatifs d’une action en nullité d’une délibération prise en assemblée générale sont :

 

– soit la violation des dispositions du livre II du Code de commerce (« des sociétés commerciales … »)

– soit la violation des lois qui régissent les contrats.

 

En effet, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés aux fins de favoriser leurs intérêts au détriment d’un ou de plusieurs autres associés, la violation de l’intérêt social n’entraine pas à lui seul la nullité d’une délibération.

 

En réalité, il appartient à l’avocat rédacteur d’acte d’être extrêmement vigilent. Il aurait sans doute été plus judicieux d’alerter le cessionnaire des titres de l’existence de cette délibération et, en l’état, refuser de réitérer l’acte de vente au motif que cette prime affecte considérablement la valeur des titres par exemple.

 

En tout état de cause, il convient de rappeler que cette décision est rendue sur le fondement de l’article L. 235-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi Pacte.

 

Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 janvier 2021, 18-21.860, Publié au bulletin