Appréciation, à l’aune de l’intérêt social, d’une demande de désignation d’un mandataire ad hoc

[Résumé]

Dans une décision en date du 15 décembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation souligne que dans une SARL la demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation du gérant doit appréciée au regard de l’intérêt social.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 décembre 2021, 20-12.307, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, l’associée majoritaire d’une société à responsabilité limitée a demandé à son gérant et coassocié la convocation d’une assemblée générale ayant pour ordre du jour la décision à prendre sur la révocation du gérant et la désignation d’un nouveau gérant.

Devant le refus du gérant, l’associé majoritaire a saisi en la forme des référés le président d’un tribunal de commerce afin d’obtenir la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale. Le dirigeant et la société se sont opposés à cette demande.

Les juges du fond acceptèrent la désignation. La société et le dirigeant formèrent alors un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction énonce au terme de son contrôle que : « Si c’est à tort que la cour d’appel a énoncé que le juge, saisi par un associé détenant au moins la moitié des parts sociales d’une société à responsabilité limitée d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation du gérant, n’a pas à apprécier cette demande au regard de l’intérêt social, sa décision n’encourt pas pour autant la censure dès lors que les allégations [ du dirigeant ], selon lesquelles la demande de [l’associé majoritaire] n’était pas conforme à l’intérêt social, n’avaient, en réalité, pour objet que de contester les motifs de la révocation envisagée ».

[L’avis du Cabinet]

Quelle que soit la forme sociale, il existe un principe de libre révocabilité des dirigeants sociaux. Une société ne saurait être tenue de conserver un dirigeant, même lorsque comme dans les SARL sa révocation doit être soutenue par de justes motifs. Or la révocation du gérant doit faire l’objet d’une décision sociale. En somme, c’est l’assemblée qui décide à la majorité. Il n’en reste pas moins que l’initiative de la convocation d’une telle assemblée est aux mains du dirigeant. On peut concevoir qu’il fasse preuve de réticence dans la mesure où il s’agit de sa propre révocation.

Pour pallier cette situation il est possible – comme c’était le cas en l’espèce – pour un associé de solliciter judiciairement la désignation d’un mandataire ad hoc ayant pour mission de convoquer l’assemblée en question. C’est l’objet de l’article L. 223-27 du code de commerce prévoit en effet que « Tout associé peut demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et de fixer son ordre du jour ».

En l’occurrence la Haute juridiction vient souligner que cette demande doit être appréciée à la lumière de l’intérêt social. Cette demande ne saurait donc prospérer faute de conformité à cet intérêt. En l’espèce, en dépit du rappel à l’ordre effectué par la Chambre commerciale, l’arrêt n’est pas censuré dans la mesure où les demandes du dirigeant et de la société n’avaient, en réalité, pour objet que de contester les motifs de la révocation envisagée.

Sanction de la violation d’une clause aménageant l’unanimité dans une société civile

[Résumé]

Dans une décision en date du 05 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation énonce, d’une part, qu’en application de l’article 1852 du code civil, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés et, d’autre part, que le principe d’unanimité, posé par l’article 1852 du code civil, à défaut de dispositions statutaires, pour prendre des décisions collectives qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants, relève des dispositions impératives au sens de l’article 1844-10 du code civil. En d’autres termes, la violation de ce principe ou des règles statutaires qui l’aménagent est sanctionnée par la nullité.

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 5 janvier 2022, 20-17.428, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une société civile immobilière avait vu désigné par ordonnance un administrateur avec pour mission de gérer et d’administrer la société.

Quelques années plus tard, l’assemblée générale de la société adopte des résolutions portant sur l’approbation des comptes des exercices 2011 à 2014, le quitus donné aux cogérants, puis à l’administrateur, pour ces exercices, l’affectation des résultats de l’exercice 2014 et la rémunération de l’administrateur provisoire.

L’un des associés a alors a assigné la société, représentée par son administrateur, en annulation de cette assemblée. Les juges du fond accédèrent à cette demande en faisant le constat que la règle de l’unanimité des associés n’avait pas été respectée. Un pourvoi en cassation entendait critiquer cette solution.

La Haute juridiction rejette le pourvoi.

Elle rappelle d’abord que : « 6. Aux termes de l’article 1852 du code civil, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés. 7. Ce texte ne restreint pas l’unanimité à celle des associés présents ou représentés à une assemblée générale, mais vise la totalité des associés de la société ».

Elle souligne ensuite que :

« 14. Aux termes de l’article 1844-10, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du titre neuvième du livre troisième du code civil ou de l’une des causes de nullité des contrats en général. 15. Le principe d’unanimité, posé par l’article 1852 du code civil, à défaut de dispositions statutaires, pour prendre des décisions collectives qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants, relève des dispositions impératives au sens de l’article 1844-10 précité. 16. La violation de ce principe ou des règles statutaires qui l’aménagent est sanctionnée par la nullité ».

[L’avis du Cabinet]

Le présent arrêt, rendu dans le cadre d’une société civile, propose une lecture orthodoxe de l’article 1852 du code civil. Ce texte prévoit que les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés. Les statuts ne contenaient en l’occurrence pas de disposition spécifique pour l’approbation des comptes. Il s’agissait donc d’une décision excédant les pouvoirs reconnus aux gérants, et l’approbation devait être décidée à l’unanimité des associés.

Dans ce dernier cas le présent arrêt vient apporter une précision. L’unanimité visée au texte n’est pas, comme le soutenaient les auteurs du pourvoi, celle des associés présents ou représentés. Il s’agit d’une décision qui doit être prise par la totalité des associés de la société. La solution paraît naturelle.

Les juges du fond avaient de plus souligné que la clause des statuts qui prévoyait que « toutes décisions qui excèdent les pouvoirs de gestion sont prises à l’unanimité des voix attachées aux parts créées par la société. Chaque part donne droit à une voix » imposait l’unanimité des voix attachées aux parts émises par la SCI.

En outre, l’arrêt rendu le 5 janvier 2022 invite à s’interroger sur le cadre des nullités en matière de décisions sociales. Le principe d’unanimité visé à l’article 1852 est, pour la Cour de cassation, une disposition impérative dont la méconnaissance doit être fulminée par l’annulation. Il en ressort que la violation des règles statutaires et légales relatives à l’adoption, par l’assemblée générale, des décisions excédant les pouvoirs du gérant relatives à l’approbation des comptes, au quitus donné aux gérants et à l’administrateur pour ces exercices, à l’affectation des résultats et à la fixation des honoraires de l’administrateur, devait conduire à l’annulation de la décision collective.

La solution s’avère protectrice à l’égard des associés de sociétés civiles. Leur engagement illimité trouve un garde-fou naturel dans la nullité attaché à la violation de la règle de l’article 1852 du code civil.

Application d’une clause pénale dans une cession de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision en date du 24 novembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation contrôle une clause aux termes de laquelle le cédant conservait une partie de cession déjà versée en cas de résolution de la vente. Elle estime « que cette clause n’avait pas pour objet de permettre au cédant de percevoir deux fois le prix des parts sociales mais seulement de lui permettre, en cas de résolution de la cession desdites parts, de conserver les sommes déjà versées par le cessionnaire à titre de paiement partiel ».

(Cass. com., 24 nov. 2021, n° 19-24977)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce une cession de parts sociale prévoyait le paiement en douze annuités. Le contrat de cession stipulait qu’ « à défaut de règlement d’une seule annuité aux dates et montant convenus, l’intégralité du prix de cession deviendra immédiatement exigible et les sommes versées jusqu’au défaut de règlement, seront allouées au cédant, à titre de premiers dommages et intérêts lequel pourra poursuivre comme bon lui semble le cessionnaire, soit en paiement du solde du prix de cession, soit en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts ».

Invoquant la défaillance du cessionnaire dans le paiement du prix, le cédant l’a assignée en résolution de la cession et aux fins d’application de la clause pénale insérée dans le contrat.

Les juges du fond rejetèrent l’application de la clause pénale. Le cédant forma alors un pourvoi en cassation. La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et livre l’analyse suivante : « cette clause n’avait pas pour objet de permettre au cédant de percevoir deux fois le prix des parts sociales mais seulement de lui permettre, en cas de résolution de la cession des dites parts, de conserver les sommes déjà versées par le cessionnaire à titre de paiement partiel ».

[L’avis du Cabinet]

Les cessions de titres font l’objet d’aménagement contractuel qui permettent de satisfaire les intérêts des parties en présence. Le prix de cession est à ce titre un enjeu crucial et l’objet d’intenses négociations. La question de son paiement est d’égale importance. S’il est intéressant d’obtenir un bon prix, cela ne tient qu’à son paiement effectif. Pour ce faire, les parties au présent contentieux avaient prévu un paiement échelonné en douze annuités. En sus de cet étalement du paiement, les parties avaient insérée à l’acte une clause selon laquelle à défaut de règlement d’une seule annuité aux dates et montant convenus, l’intégralité du prix de cession deviendrait immédiatement exigible et les sommes versées jusqu’au défaut de règlement, seraient allouées au cédant, à titre de premiers dommages et intérêts lequel pourrait poursuivre comme bon lui semble le cessionnaire, soit en paiement du solde du prix de cession, soit en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts.

A la faveur d’un défaut de paiement, le cédant avait excipé la clause. Les juges du fond leur en avaient pourtant refusé le bénéfice. Pour eux, la mise en œuvre de cette clause obligeait le cessionnaire à régler une deuxième fois le prix des parts sociales sans cependant pouvoir en avoir le bénéfice.

Au visa de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, la Haute juridiction censure. L’objet de la clause n’était en aucun cas de prévoir un double paiement mais de permettre la conservation des sommes déjà versées en cas de défaillance. Cette sanction contractuelle par le jeu d’une clause pénale était donc parfaitement admissible, sauf pour le juge à en constater l’excès. Ce qui notons le ne lui auront finalement permis que de ramener la clause à de justes proportions, conformément à l’article 1231-5 du code civil.

Illustration du dol dans une cession de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision en date du 12 mai 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation admet l’annulation d’une cession d’actions lorsque le consentement a été vicié par un dol. Elle rappelle que pour ce faire il reste nécessaire de démontrer l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements.

(Cass. com. 12 mai 2021, n° 19-18.500)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, à la suite d’une opération globale de cessions de droits sociaux, le cédant avait découvert un certain nombre d’anomalies comptables au sein des sociétés composant le groupe.

Une clause de garantie de passif insérée à l’acte fut d’abord mise en œuvre, ce qui conduisit à la constatation d’une réduction du prix de cession dans un protocole d’accord. Par la suite, les sociétés du groupe ont été placées en redressement puis en liquidation judiciaires.

Les cédants ont alors été assignés en annulation de la cession des actions pour dol.

Les juges du fond firent droit à la demande et prononcèrent la nullité conduisant à la formation d’un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et rappelle « qu’en application de l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans elles, l’autre partie n’aurait pas contracté […] ».

La cour d’appel avait justement relevé que le chiffre d’affaires avait été systématiquement et artificiellement gonflé, que la comptabilité de cette société présentait des factures fictives, des doubles factures, des surfacturations ou des doubles règlements pour une même facture, que les produits d’exploitation de la société avaient été artificiellement majorés par de fausses facturations. Les juges du fond ont par ailleurs relevé un ensemble de malversations et fraudes opérées à la fois pour présenter une image fausse de la situation des entreprises et pour dissimuler des détournements au profit de particuliers. Enfin et contrairement aux déclarations du cédant les juges du fond ont souligné que toutes les sociétés étaient de fait en état de cessation des paiements avant les cessions.

« En l’état de ces motifs, faisant ressortir l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements, la cour d’appel, qui a procédé aux recherches invoquées par les premières et deuxièmes branches, a pu, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, déduire que le dol était caractérisé ».

[L’avis du Cabinet]

Les cessions de droits sociaux s’analysent comme des ventes et les règles du code civil y afférentes sont applicables. Parmi celles-ci, les règles relatives à l’intégrité du consentement déploient leur protection. A ce titre le dol est souvent invoqué dans les cessions de droits sociaux mais finalement que difficilement retenu.

Pour mémoire, l’article 1116 dans son ancienne rédaction prévoyait que : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté », ce que vient ici rappeler la Haute juridiction.

En l’occurrence, la cession des droits sociaux litigieuse s’était accompagnée d’un certain nombre de faits plutôt accablant. Postérieurement à la cession, le cessionnaire avait découvert un ensemble de pratiques douteuses : comptabilité comprenant des factures fictives, doubles factures, surfacturations ou doubles règlements pour une même facture, produits d’exploitation artificiellement majorés par de fausses facturations, malversations et fraudes opérées à la fois pour présenter une image fausse de la situation des entreprises et pour dissimuler des détournements d’actifs. Par ailleurs, il était apparu que la société dont les titres avaient été cédés était d’ores et déjà en cessation des paiements au moment de la conclusion de l’acte de cession.

De tous ces éléments la Haute juridiction retient « l’intention dolosive des cédants et le caractère déterminant de l’erreur provoquée par leurs agissements ». Le dol était en l’espèce bien caractérisé et la cession devait être annulée.

En l’espèce la mauvaise comptabilité ne relevait pas d’une simple irrégularité mais d’un système de fraude destiné à donner une image tronquée des finances du groupe. Cela à telle enseigne que les sociétés avaient par la suite fait l’objet d’un redressement et d’une liquidation judiciaire, à l’occasion desquels la date de cessation des paiements avait été fixée antérieurement à la cession.

Effectivement, le dol nécessite que soit démontrer l’intention de tromper. Il s’agit là de l’élément central qui le distingue du simple manquement à une obligation d’information. Le cédant souhaitait provoquer une erreur chez son contractant pour le pousser à s’engager dans la relation contractuelle. Cette duperie est telle que si l’intéressé l’avait connue il n’aurait pas contracté. C’est bien le cas d’une société que l’on pensait solvable alors que son impécuniosité était déjà bien réelle !

La solution ainsi dégagée devrait se maintenir en application de l’article 1137 du code civil qui prévoit désormais que : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».

Faute de gestion du liquidateur amiable d’une société et comblement de passif

[Résumé]

Dans un arrêt du 21 octobre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que l’inertie et l’omission de déclarer la cessation des paiements ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société constituent des fautes de gestion engageant la responsabilité du dirigeant.

En effet, un liquidateur amiable d’une association qui a laissé le passif de celle-ci s’alourdir pendant plus de dix-huit mois et qui a omis de déclarer la cessation de paiements est reconnu comme responsable de fautes qui justifiaient qu’il soit condamné au comblement d’une partie du passif.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 octobre 2020, 18-25.909, Inédit)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une association a été dissoute par une résolution de son assemblée générale en date du 26 novembre 2011. Cette résolution désigna un liquidateur amiable conformément aux dispositions légales et statutaires.

Près de deux années plus tard, et sur assignation de l’URSSAF, le tribunal de grande instance de Bourges ouvrit au bénéfice de l’association une procédure de redressement judiciaire, convertie rapidement en liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire a constaté l’inertie du liquidateur amiable au regard de la situation particulièrement obérée de l’association et le défaut de régularisation d’une déclaration de cessation des paiements. C’est dans ces conditions que le liquidateur judiciaire assigna le liquidateur amiable en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Par un arrêt du 9 août 2018, la cour d’appel de Bourges, a retenu que le liquidateur amiable avait laissé la situation de l’association s’aggraver pendant plus de 18 mois après sa désignation et n’avait pas régularisé de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal. De ce fait, les fautes de gestion qui lui sont imputées excédaient la simple négligence.

Le liquidateur amiable forma alors un pourvoi en cassation. Le pourvoi faisait grief à la cour d’appel de lui avoir retenu la qualité de dirigeant de droit et de l’avoir condamné à supporter l’insuffisance d’actif de l’association alors que l’article L.651-2 aurait du nécessairement l’exonérer du fait de son âge et de troubles aliénant ses facultés mentales.

Par un arrêt du 21 octobre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la décision des juges du fond et rejette ainsi le pourvoi formé par le liquidateur.

[L’avis du Cabinet]

Par cet arrêt, la Haute juridiction décide que le liquidateur amiable engage sa responsabilité lorsque son inertie et son omission à déclarer la cessation des paiements ont contribué à l’insuffisance d’actifs. Ces fautes ne sauraient être qualifiées de simples négligences de sa part au seul motif qu’il était d’un âge avancé et sujet à des problèmes de santé lors des faits reprochés.

Cette décision se justifie notamment par le fait que le liquidateur amiable est un dirigeant de droit et cette qualité lui confère des responsabilités dont il peut avoir à répondre.

Cet arrêt rendu à l’encontre du liquidateur amiable d’une association (finalement mise en liquidation judiciaire), confirme qu’un liquidateur peut être considéré comme un dirigeant susceptible d’être soumis à l’action en comblement de passif. Ainsi, la solution est transposable à tout dirigeant de société.

Seule la mésentente entrainant une paralysie du fonctionnement de la société justifie la dissolution

[Résumé]

Dans une décision en date du 17 novembre 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article 1844-7, 5e du code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société. Une mésentente profonde ne saurait à elle seule permettre la démonstration de la paralysie et autoriser la dissolution judiciaire.

(Cass. 3e civ., 17 novembre 2021, n° 19-13.255, F-D)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une SCI a été constituée entre deux associés, dont l’un détenait 70% des parts et avait la qualité de gérant. La SCI a par la suite cédé plusieurs biens de la société sur autorisation de l’assemblée générale.

L’associé minoritaire a alors introduit une action en annulation de l’assemblée générale pour abus de majorité et a également sollicité la dissolution anticipée de la société pour justes motifs.

Les juges du fond accédèrent à la demande de dissolution ainsi formée, conduit à la formation d’un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction, au visa de l’article 1844-7, 5°, du code civil censure l’arrêt d’appel. La 3e chambre civile estime en effet que : « 12. Selon ce texte, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société. 13. Pour prononcer la dissolution anticipée de la SCI Forêt royale pour justes motifs, l’arrêt retient qu’en 2011, la désignation d’un administrateur a été nécessaire en raison de l’absence de convocation de l’assemblée générale statutaire depuis plusieurs années, d’opérations graves sur le patrimoine social décidées par le seul gérant et de l’arrêt de la distribution de revenus à l’associée minoritaire depuis 2010, que celle-ci n’a pu être remplie de ses droits que suite à une action judiciaire et que lors des assemblées générales qui ont suivi, en 2012 et 2013, l’associé majoritaire et gérant a abusé de sa majorité en soumettant au vote des résolutions contraires à l’intérêt social. 14. Il ajoute que les procédures ayant opposé les associés depuis 2011 montrent à quel point leur mésentente est profonde et qu’il résulte des déclarations de M. [U] une volonté de considérer la société comme sa seule propriété. 15. La cour d’appel en déduit qu’il ne peut être considéré, dans de telles conditions, que la société, dans laquelle il n’existe plus aucun affectio societatis, fonctionne normalement et qu’en conséquence, il existe de justes motifs de prononcer la dissolution de la SCI Forêt royale. 16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir une paralysie du fonctionnement de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

[L’avis du Cabinet]

Le code civil prévoit à l’article 1844-7 les causes de dissolutions des sociétés. Parmi celles-ci se trouve envisagée la possibilité que la société puisse être dissoute sur justes motifs en cas de mésentente entre associés. Le code civil ne s’arrête pas la et exige pour qu’une solution aussi radicale soit retenue que la mésentente soit telle qu’elle paralyse le fonctionnement de la société. C’est à cette paralyse que le présent arrêt s’intéresse.

Il est compréhensible que l’on ne saurait condamné à la disparition des sociétés au sein desquels une crise simplement passagère et sans conséquence sur le fonctionnement social a pris racine. Pour conduire à la dissolution, il faut que la mésentente soit grave, à telle enseigne qu’elle rejaillisse sur le fonctionnement sociétaire. Mais, c’est tout l’intérêt de l’arrêt, un fonctionnement social anormal ne traduit pas nécessairement une paralysie.

En l’occurrence la désignation d’un administrateur avait été nécessaire en raison de l’absence de convocation de l’assemblée générale statutaire depuis plusieurs années, d’opérations graves sur le patrimoine social décidées par le seul gérant et de l’arrêt de la distribution de revenus à l’associée minoritaire depuis de nombreuses années. Par ailleurs ces dissensions entre associés, qui avaient donné lieu à de nombreuses procédures au fil des ans, montraient que la mésentente était profonde. Les juges du fond avaient estimé cela suffisant pour prononcer la dissolution. Pour eux, la société dans laquelle n’existait plus d’affectio societatis ne fonctionnait pas normalement. Ce raisonnement n’est pas suivi par la Cour de cassation.

Fonctionnement anormal n’est pas synonyme de paralysie, ce qui conduit à la censure de l’arrêt d’appel. L’application de la règle est orthodoxe. La paralysie doit mettre profondément à mal le fonctionnement sociétaire. L’activité de la société doit être mise en péril, les organes sociaux dans l’incapacité de prendre quelque décision que ce soit. C’est donc bien une application stricte de la dissolution pour mésentente qu’entend faire – et contrôler – la Haute juridiction.

La garantie d’éviction dans une cession de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision en date du 10 novembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique qu’il est possible que la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre soient restreintes par le jeu de la garantie d’éviction en matière de cessions de droits sociaux. Toutefois, cette restriction ne vaut qu’à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

(Cass. com., 10 nov. 2021, n° 21-11.975, F+B)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce les associés fondateurs d’une société spécialisée dans l’édition de solutions informatiques ont cédé en 2007 leurs titres à une société Linagora, dont ils sont devenus par ailleurs associés. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société dont les titres avaient été cédés.

Postérieurement, les intéressés ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011. Ils ont par la suite ensemble créée une nouvelle société.

Invoquant notamment la garantie légale d’éviction, la société Linagora les a assignés en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice. Les juges du fond ont accédé à cette demande, conduisant à la formation d’un pourvoi en cassation.

La Chambre commerciale censure l’arrêt d’appel en ces termes :

« Vu les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil : 7. Il se déduit de l’application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. 8. Pour dire que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, leur interdire d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO et dire que du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l’égard de la société Linagora GSO, l’arrêt constate que M. [N] et M. [W] se sont rétablis, par l’intermédiaire de la société Blue Mind, dans le même secteur d’activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent. Il relève également qu’ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel OBM, qu’ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l’activité de la société Linagora GSO et que les clients se sont détournés de cette dernière après le départ de M. [N] et M. [W] pour contracter avec la société Blue Mind à la suite d’une procédure d’appel d’offres à laquelle celle-ci avait répondu. Il retient enfin que leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Linagora GSO, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité. 9. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

[L’avis du Cabinet]

Les cessions de droits sociaux s’analysent comme des ventes et les règles du code civil y afférentes sont applicables. Parmi celles-ci, l’article 1626 prévoit le mécanisme suivant : « Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ».

En l’espèce, la cession de titres concernait une société ayant une activité commerciale. Les cessionnaires entendaient se prévaloir de la garantie d’éviction dans la mesure où les cédants avait constitué plusieurs années après une nouvelle entité dans le même secteur d’activité que la société cédée pour offrir un produit concurrent à celui précédemment développé. Les juges du fond avaient admis retenu la garantie d’éviction à cet égard.

La Haute juridiction censure cette solution et admet le jeu d’un contrôle de proportionnalité en la matière. En l’occurrence la chambre commerciale reproche à la cour d’appel d’avoir retenue le bénéfice de la garantie « après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n’avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ».

Au regard du contexte, les juges du fond auraient dû proposer une analyse in concreto pour apprécier les intérêts en présence et admettre ou non l’interdiction de se rétablir. Les magistrats du Quai de l’Horloge procèdent dans cet arrêt à une intéressante mise en balance des intérêts du cédant et du cessionnaire. Elle ouvre toutefois la voie d’un contentieux judiciaire important sur la question, ce qui ne peut qu’inciter à l’anticipation contractuelle.

Est nulle la promesse de société faute d’accord sur l’objet de la société pour défaut d’affectio societatis

[Résumé]

Dans une décision du 3 mars 2021, la cour de cassation précise qu’une promesse de société doit être annulée dès lors que les parties ne s’étaient pas entendues sur l’objet des sociétés qu’elles envisageaient de constituer, que les biens à acquérir devaient servir à réaliser, ce dont elle a pu déduire l’absence d’affectio societatis.

(Cour de cassation, civile chambre commerciale, 3 mars 2021 n° 19-10.693)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un gérant de SARL et une SCI se consultent dans la perspective de constituer deux sociétés devant acquérir un ensemble immobilier. Le premier renonce au projet. La SCI cherche à engager sa responsabilité pour inexécution de la promesse de constitution des deux sociétés. Le gérant de SARL s’oppose à cette action en responsabilité et invoque la nullité de la promesse, sur le fondement du défaut d’affectio societatis.

 

La cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 13 novembre 2018 a été sensible à l’argumentation du gérant. Les juges du fond considèrent que l’absence d’affectio societatis tient ici à l’imprécision des modalités d’occupation des locaux et à l’absence de communauté de vues sur leur usage.

Le 3 mars 2021 la chambre commerciale de la Cour de cassation, confirme cette approche en ces termes :

« 4. D’une part, l’arrêt énonce que l’affectio societatis se définit comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d ’égalité à la poursuite de l ’œuvre commune. Il constate qu’il est établi que M. D… tenait M. Mercieca au courant de l’avancement de ses démarches en vue de l’acquisition des biens immobiliers que les futures sociétés devaient exploiter, que la société Compagnie foncière du Genevois avait versé la moitié du dépôt de garantie et qu’un rendez-vous avait été organisé chez le notaire pour discuter des statuts des sociétés dont la création était envisagée. Il retient que la preuve n’est pas rapportée d’un échange entre les parties sur leurs projets respectifs concernant la destination des biens immobiliers concernés, ni sur les modalités pratiques de leur occupation respective. Il retient ensuite que le contenu du courriel de M. D… du 29 juillet 2011 démontre son ignorance des projets de M. Mercieca ainsi qu’une absence de communauté de vue sur l’usage de ces biens et de volonté de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à une œuvre commune, que les activités ponctuelles de M. D… et de la société Bessimo, qu’il décrit, ne suffisent pas davantage à démontrer. En l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les parties ne s’étaient pas entendues sur l’objet des sociétés qu’elles envisageaient de constituer, que les biens à acquérir devaient servir à réaliser, ce dont elle a pu déduire l’absence d’affectio societatis et, par voie de conséquence, la nullité de la promesse de sociétés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. 5. D’autre part, il ne ressort ni de l’arrêt ni de leurs conclusions que les sociétés Compagnie foncière du Genevois, Europe enchères et […] aient, devant la cour d’appel, invoqué la mauvaise foi de M. D… pour s’opposer à la demande de nullité formée par ce dernier et la société Bessimo. Le moyen, en sa seconde branche, est ainsi nouveau et mélangé de fait et de droit. 6. Le moyen, pour partie irrecevable, n’est donc pas fondé pour le surplus. »

[L’avis du Cabinet]

La loi ne définit pas l’affectio societatis et n’en fait pas expressément une condition de validité du contrat de société. Néanmoins, la jurisprudence et la doctrine ont consacré cette condition en la déduisant notamment de l’article 1833 du Code civil qui dispose en son 1e alinéa que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».

L’affectio societatis doit s’entendre comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune. Cela implique que chaque associé puisse avoir un rôle dans la société en participant, a minima, aux décisions collectives (article 1844 alinéa 1er du Code civil) et en contribuant aux pertes sociales (article 1832 du Code civil). En pratique, la notion d’affectio societatis a pour fonction essentielle de permettre l’identification d’un contrat de société par le juge.

La Cour de cassation rappelle que l’affectio societatis s’entend comme une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune. Elle retient ensuite que l’absence d’accord sur l’objet de la société (en l’espèce défaut d’accord sur la destination des biens immobiliers et l’usage des biens à exploiter…) que des personnes envisagent de créer exclut leur volonté de collaborer ensemble sur un pied d’égalité à la poursuite d’une œuvre commune. Partant, la nullité de la promesse était encourue.

S’il était admis que l’affectio societatis était une exigence de validité du contrat de société au moment de sa constitution, l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 3 mars 2021 consacre cette exigence au stade de l’avant contrat par le biais de la promesse de constitution de société. La Cour de cassation intègre en effet l’affectio societatis, comme condition de validité de l’avant-contrat. En conséquence, l’absence d’affectio societatis sera sanctionnée par la nullité, dans la mesure ou la nullité est la sanction qui vient frapper les contrats mal formés.

Action en comblement d’insuffisance d’actif : le dirigeant démissionnaire exonéré pour des faits postérieurs à la démission même non publiée

[Résumé]

Dans un arrêt du 16 juin 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient que la responsabilité du dirigeant de droit ne pouvait pas être retenue dès lors que sa démission n’était pas contestée et ce quand bien même elle n’aurait fait l’objet d’aucune publicité.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 juin 2021, 20-15.399, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une société a été mise en liquidation judiciaire le 27 novembre 2009.

C’est dans ces conditions que le liquidateur a assigné les dirigeants en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Par jugement en date du 26 décembre 2014, le tribunal de commerce de Bergerac a condamné in solidum le dirigeant de fait et la dirigeante de droit au paiement de la totalité du passif.

Les deux dirigeant ont interjeté appel. Par un arrêt du 28 janvier 2020, la cour d’appel de Pau a infirmé le jugement, pris acte du désistement du liquidateur judiciaire et, statuant à nouveau, a condamné la gérante de droit au paiement d’une partie de l’insuffisance d’actif.

Les juges du fond ont relevé que la gérante de droit apparaissait toujours sur le KBIS de la société alors qu’elle avait démissionné de son mandat social depuis plusieurs mois. De plus, le procès-verbal de l’assemblée générale actant de sa démission deux mois plus tôt n’avait pas été publié au RCS.

Ainsi, la gérante de droit forme un pourvoi en cassation à l’appui duquel elle invoque que « l’inopposabilité des actes qui n’ont pas été publiés ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu la responsabilité des dirigeants », en soutenant que l’« absence de publicité n’a pas affecté les effets de la cessation de fonctions et que la perte de sa qualité de dirigeant s’oppose à ce qu’elle réponde de l’insuffisance d’actif créée ou aggravée après la cessation de ses fonctions ».

Par un arrêt du 16 juin 2021, la Cour de cassation, au visa de l’article L.123-9 du Code de commerce casse et annule l’arrêt d’appel en retenant que la démission de la gérante de droit n’était pas contestée.

La chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la cour d’appel a violé l’article L. 123-9 du code de commerce et énonce que :

« Selon ce texte, la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer aux tiers les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre du commerce et des sociétés. Néanmoins, l’inopposabilité ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce ».

[L’avis du Cabinet]

Par cet arrêt, la Haute juridiction rappelle que le dirigeant démissionnaire ne peut pas être poursuivi en responsabilité pour insuffisance d’actif pour des faits postérieurs à sa démission, même si celle-ci n’a pas fait l’objet de publicité.

En effet, le principe d’inopposabilité aux tiers de la nomination ou de la cessation des fonctions du dirigeant non publiée au RCS (C. com., art. L. 123-9) ne concerne pas la mise en jeu de sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce.

La solution est orthodoxe : le dirigeant ne doit être condamné qu’au titre des faits auxquels il a pu prendre part. Ces faits s’étendent entre la date de sa nomination et celle de la cessation de ses fonctions, peu important le défaut de publication de ces événements au RCS ou la date de cette publication Cette solution s’inscrit dans la continuité (Cass. com., 14 oct. 1997, n° 95-15.384, à propos d’une démission non publiée ; Cass. com., 8 juill. 2003, n° 00-18.250, à propos d’une nomination non publiée).

L’usufruitier de droits sociaux n’a pas la qualité d’associé

[Résumé]

Dans un avis en date du 1e décembre 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique clairement que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé, celle-ci ne bénéficiant qu’au seul nu-propriétaire. L’usufruitier peut toutefois peut provoquer une délibération des associés si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.

(Cass. com. avis 1-12-2021 n° 20-15.164 FS-D)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, à la faveur d’un contentieux entre associés d’une SCI familiale, la Cour de cassation vient pour la première fois expressément se prononcer sur le statut de l’usufruitier de titres sociaux. Il était en l’occurrence question de savoir si l’usufruitier pouvait solliciter une délibération ayant pour objet la révocation du gérant.

La Chambre commercial a ainsi émis l’avis suivant :

« 1. Aux termes de l’article 578 du code civil, l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. 2. Selon l’article 39, alinéas 1 et 3, du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa version applicable, un associé non-gérant d’une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s’oppose à la demande ou garde le silence, l’associé demandeur peut, à l’expiration du délai d’un mois à compter de sa demande, solliciter du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés. 3. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. ».

[L’avis du Cabinet]

Les démembrements de titres sociaux permettent pour des parts ou actions de séparer pour le même bien la nue-propriété de l’usufruit. La technique est fréquemment utilisée, par exemple dans le cadre familial pour permettre la transmission de la société aux générations suivantes.

Il était acquis jusqu’alors que le nu-propriétaire des droits sociaux avait bien la qualité d’associé, ce qui lui permettait de jouir des droits y afférents. C’est en revanche la première fois que la Haute juridiction se prononce au sujet de l’usufruitier. Le présent avis vient lui refuser expressément la qualité d’associé sans pour autant le priver de tous droits.

D’abord, l’usufruitier dispose du droit de participer aux décisions collective (art. 1844 alinéa 1 du code civil) et ne peut être privé de celui de voter aux décisions concernant l’affection des bénéfices (art. 1844 alinéa 3 du code civil).

Ensuite, la Haute juridiction précise que l’usufruitier doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. Il ressort en l’espèce que l’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de co-gérants, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.