La garantie d’actif passif et la faute de gestion du dirigeant cédant de titres sociaux

[Résumé]

Dans une décision du 22-09-2021, la Cour de cassation indique que la mise en œuvre d’une garantie de passif implique la démonstration d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 22 septembre 2021, 19-22.938)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un associé à hauteur de 50 % et gérant d’une, a cédé la totalité des parts qu’il détenait dans cette société à une autre personne morale déjà titulaire de 40 % du capital, au prix de 30 000 € payable en trois échéances. L’acte comportait une garantie d’actif et de passif.

Postérieurement à la cession, il est apparu que M. X avait commis des irrégularités dans la gestion de la société. Un expert fut désigné en référé ayant notamment pour mission de donner son avis sur les éventuels responsabilités et préjudices subis par cette société.

Eu égard au rapport de l’expert sur les fautes de gestion, le cessionnaire a assigné en paiement le cédant au titre de sa responsabilité et de la mise en œuvre de la garantie d’actif et de passif. Sur le fondement de cette dernière, les juges du fond ont condamné le dirigeant cessionnaire au paiement de 81 267,04 €. Un pourvoi a été formé.

Par un arrêt du 22-09-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« En se déterminant par de tels motifs, impropres à établir l’existence d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement, conditions nécessaires à la mise en œuvre de la garantie d’actif et de passif incluse dans l’acte de cession, peu important que cette diminution de l’actif ou cette augmentation du passif aient pour origine des fautes de gestion, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

[L’avis du Cabinet]

Les garanties d’actif et de passif sont des mécanismes particulièrement utiles et fréquemment utilisées dans les cessions de droits sociaux. Elles permettent au cessionnaire des titres de se prémunir contre une révélation de passif ou une diminution de l’actif ultérieure à la signature de la cession mais dont le fait générateur est antérieur.  D’un côté elles permettent au cédant de négocier la vente au meilleur prix, de l’autre elles offrent une sécurité contractuelle au cessionnaire devant l’apparition de mauvaise surprise postérieurement à la cession.

En parallèle, il est fréquent que le repreneur d’une société, à la faveur d’une analyse du comportement de l’ancien dirigeant, identifie un certain nombre d’actes préjudiciables à la société relevant de la qualification de fautes de gestion. La responsabilité de l’ancien dirigeant sera alors recherchée à ce titre.

C’est la rencontre de ces deux hypothèses que le présent arrêt met en lumière. Le cessionnaire des titres avait postérieurement à la cession fait la découverte de prétendues fautes de gestion dont il avait tenté de rechercher indemnisation des conséquences par le truchement de la clause de garantie d’actif et de passif.

Pour ce faire, et c’est le mérite du présent arrêt, encore faut-il pour le bénéficiaire de la clause de garantie de passif respecter les conditions de sa mise en œuvre.

Que la diminution de l’actif ou l’augmentation du passif aient pour origine d’éventuelles fautes de gestion ne suffit pas pour bénéficier de la couverture du mécanisme contractuel. Il faut pour le bénéficiaire de la garantie apporter la démonstration « d’une diminution de l’actif ou d’une augmentation du passif résultant d’opérations de toute nature dont le fait générateur serait antérieur à la date du transfert de propriété des parts sociales, et qui seraient connues ou révélées ultérieurement ».

Révocation du dirigeant entrainant la mise en œuvre d’une clause de sortie

[Résumé]

Dans une décision du 22-09-2021, la Cour de cassation valide une clause de sortie insérée dans un pacte extrastatutaire au terme de laquelle le dirigeant s’engage à céder l’intégralité de ses participations à l’associé majoritaire s’il venait à être révoqué. Cette condition ne saurait être potestative dans la mesure où la révocation intervient pour juste motifs, contrôlables judiciairement.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 22 septembre 2021, 19-23.958, Inédit )

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, une société et une personne physique toutes deux associées de la même société ont conclu un pacte d’actionnaire prévoyant, notamment, les conditions dans lesquelles Mme [U], s’obligeait à céder la totalité de ses actions et valeurs mobilières dans le capital de la société Enthalpia dont elle était la présidente. Trois ans plus tard, par une délibération du 2 décembre 2009, l’assemblée générale des actionnaires de la société a mis fin au mandat de Mme [U].

Estimant que la promesse de cession de ses actions était affectée d’une condition potestative, cette dernière a demandé l’annulation du pacte d’actionnaire minoritaire conclus ainsi que le paiement de dommages-intérêts.

Par un arrêt du 22-09-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé en ces termes :

« 5. Aux termes de l’article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher.

6. Ne revêt pas un caractère potestatif une condition dont la réalisation dépend, non de la seule volonté du créancier de l’obligation, mais de circonstances objectives susceptibles d’être contrôlées judiciairement.

7. Il résulte des constatations de la cour d’appel qu’aux termes de l’article 5, paragraphe 1er, du pacte minoritaire, Mme [U] s’engageait à vendre ses titres en cas de révocation pour juste motif. Il s’ensuit que n’étant pas au seul pouvoir de la société Hominis, la condition litigieuse tenant à la révocation de Mme [U], ne pouvait entraîner la nullité de l’obligation».

[L’avis du Cabinet]

Les clauses de sortie imposant au dirigeant également associé de céder ses titres en cas de révocation de ses fonctions de dirigeant sont fréquemment utilisées et peuvent être sujettes à contentieux comme en témoigne le présent arrêt de la Cour de cassation.

En l’occurrence la Haute juridiction passe au filtre de la potestativité la clause de sortie. Aux termes de l’ancien article 1170 du code civil, la condition était potestative lorsque sa réalisation dépendait de la volonté de l’une ou l’autre des parties.

La clause du pacte extrastatutaire faisait dépendre de la révocation du dirigeant la mise en œuvre du mécanisme de rachat. Or le dirigeant soutenait que la condition était potestative dès lors que l’exécution de la promesse de vente qu’il avait consentie dépendait de l’exercice du pouvoir dont disposait l’associé majoritaire de le révoquer pour « justes motifs ». Pour la Haute juridiction tel n’est pas le cas puisque la condition tenant dans la révocation relevait « de circonstances objectives susceptibles d’être contrôlées judiciairement ». Une lecture a contrario laisse entendre que la solution aurait pu être différente si la révocation avait été discrétionnaire.

Rendu sous l’empire du droit applicable avant la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, la solution devrait pouvoir se maintenir pour les promesses conclues postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme. L’article 1324-1 du code civil énonce désormais que « : Est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur ».

Le quitus donné par l’assemblée des associés ne peut avoir d’effet libératoire au profit du dirigeant pour les fautes commises dans sa gestion

[Résumé]

 

Dans une décision du 27-05-2021, la Cour de cassation décide que le quitus donné par l’assemblée des associés ne peut avoir d’effet libératoire au profit du dirigeant pour des fautes de gestion qu’il a commises

 

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 27 mai 2021, 19-16.716, Publié au bulletin)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce une SCI avait assigné son ancien dirigeant pour des fautes qu’il avait commises à l’occasion de sa gestion.

 

Les juge du fond avaient condamné l’ancien mandataire sociale à réparer les fautes dont il était l’auteur. Le pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel entendait critiquer cette solution. L’ancien dirigeant tentait en effet de s’abriter derrière l’assemblée générale qui l’avait absous de sa faute en pleine connaissance de l’acte reproché et des circonstances l’entourant. Il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer.

 

La Haute juridiction dans une décision du 27-05-2021 rejette le pourvoi et estime que la juridiction d’appel après avoir rappelé « qu’en application de l’article 1843-5, alinéa 3, du code civil, aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat (…) Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à l’information des associés, que le quitus donné par l’assemblée des associés ne pouvait avoir d’effet libératoire au profit [du dirigeant] pour les fautes commises dans sa gestion ».

 

[L’avis du Cabinet]

 

Pour rappel, l’article 1843-5 alinéa 3 du code civil prévoit qu’ « aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat ». Soulignons que ce texte s’applique à toutes les sociétés, quelle qu’en soit la forme.

 

En l’espèce, les Hauts magistrats renforcent l’indisponibilité de l’action sociale. La solution est bienvenue. Elle permet d’éviter qu’un dirigeant majoritaire ne vienne par le biais d’une décision d’assemblée générale se permettre d’échapper à sa responsabilité à l’égard de la société qu’il dirige. La position adoptée par la Haute juridiction est d’autant plus forte qu’elle concerne une décision d’assemblée générale postérieure à la faute stigmatisée. Il est donc exclu que les associés puissent en connaissance de cause ratifier un acte de gestion constituant une faute.

 

Les sociétés en tant que personnes morales indépendantes des membres qui les composent en ressortent protégées. En effet, les dommages intérêts versés au titre de l’action sociale, qu’elle soit exercée ut universi ou ut singuli, le sont au bénéfice de la société. Il est ainsi évité que les associés puissent en disposer à leur gré en assemblée. D’une manière générale, c’est l’intérêt social qui est préservé par le truchement de l’action sociale.

Dirigeant de fait : une situation risquée !

[Résumé]

 

Dans une décision du 02-06-2021, la Cour de cassation rappelle qu’une personne qui participe effectivement dans la prise de décisions importantes à la vie d’une société peut être qualifiée de dirigeante de fait. Nous préciserons les conséquences d’une telle qualification.

 

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 2 juin 2021, 20-13.735, Inédit)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire d’une société, le Tribunal de commerce prononce une interdiction de gérer à l’encontre de Mme C (dirigeante de droit de la société) mais également à l’encontre de M. P (qualifié de dirigeant de fait).

 

P interjette appel de la décision. L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Paris qui confirme la qualification de dirigeant de fait au motif que M. P disposait d’une adresse électronique personnelle au nom de la Société, qu’il était sollicité par Mme C pour toutes les décisions à prendre, que Mme C le suivait aveuglément. En outre, M. P, qui n’était ni salarié, ni dirigeant, mais détenait 70 % des parts de ladite Société, échangeait directement avec l’avocat dans le cadre d’instances en cours.

 

P forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, qu’il ne faisait qu’apporter une aide dans l’exploitation de la société et, d’autre part, qu’il n’accomplissait pas d’acte positif de gestion et de direction engageant la société.

 

Par un arrêt du 02-07-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de M. P en ces termes : « L’arrêt retient qu’au moyen d’une adresse électronique dont il disposait au sein de la société General services, c’est M. [P] qui, par ses messages, avait le « rôle moteur», Mme [C], gérante de droit, lui demandant, non seulement, son avis sur toutes les décisions importantes, mais agissant comme sa simple exécutante. Il retient, par exemple, que c’est M. [P] qui s’entretenait d’instances judiciaires en cours avec les avocats concernés et qui donnait des instructions quant à la cession d’un terrain, Mme [C] n’intervenant, dans tous les cas, que pour transmettre des documents, voire n’étant même pas informée des sujets importants. Il ajoute que M. [P], qui n’était ni salarié, ni mandataire de la société General services, donnait des consignes pour effectuer des virements et pour organiser un voyage en vue de signer des actes de cession et que ses différentes interventions auprès des salariés et prestataires extérieurs le faisaient apparaître comme ayant un rôle de décideur. De ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que M. [P] était dirigeant de fait de la société General services. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

Cet arrêt vient confirmer la position de la Cour de cassation quant aux critères de qualification du dirigeant de fait (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 septembre 2000, 99-88.011, Publié au bulletin).

 

L’intérêt de cette décision consiste à mettre en garde quiconque participe activement à la prise de décisions importantes à la vie d’une société. L’intéressé peut être qualifié de dirigeant de fait, ce qui implique de lourdes conséquences. Ainsi relève de cette qualification une personne qui « avait exercé, de façon continue et régulière, depuis l’origine de la société, créée à son initiative, une activité positive de gestion et de direction en toute liberté » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 25 janvier 1994, 91-20.007, Inédit).

 

Le dirigeant de fait ne jouit d’aucun des avantages du dirigeant de droit.

 

En revanche, il partage avec lui toutes les sources de responsabilité :

 

(1) Responsabilité civile du dirigeant de fait : le dirigeant de fait engage sa responsabilité pour les fautes qu’il aurait commises.

 

(2) Responsabilité pénale du dirigeant de fait : le dirigeant de fait est responsable pénalement des actes qu’il a accomplis à l’occasion de sa direction de fait. Sa situation est défavorable dans la mesure où il ne peut exciper une éventuelle délégation de pouvoirs.

 

(3) Responsabilités spécifiques du dirigeant de fait dans le cadre d’une procédure collective : Dans le cadre d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, le dirigeant de fait peut engager sa responsabilité en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif (art. L. 650-1 et suivants du Code de commerce). En outre, le dirigeant de fait peut être sanctionné par une mesure d’interdiction de gérer voire de faillite personnelle (art. L. 653-1 et suivants du Code de commerce). Enfin, le dirigeant de fait peut être sanctionné pénalement en cas de banqueroute (art. L. 654-1 et suivants du Code de commerce).

Quid du non-renouvellement du mandat de dirigeant de société arrivant à son terme ?

[Résumé]

 

Dans une décision du 17-03-2021, la Cour de cassation précise que le mandat des dirigeants sociaux des sociétés doit être expressément reconduit à son terme. La poursuite de ses fonctions par un dirigeant dont le mandat n’a pas été reconduit expressément fait naître un statut de dirigeant de fait, parfois lourd de conséquences pour ce dernier.

 

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 mars 2021, 19-14.525, Publié au bulletin)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

 

En l’espèce, Mme G est nommée présidente d’une société (SAS) par une décision de l’Assemblée Générale en 2012 pour une durée de 3 ans ; sa révocation ne pouvant intervenir que sur motif grave, ou à l’expiration du mandat, sous peine de versement de dommages-intérêts. A l’expiration de son mandat, il n’a pas été statué quant à sa reconduction. Cette dernière s’est donc maintenue dans ses fonctions. Or, lors d’une AG de 2016 (soit un an après l’expiration officielle du mandat de Mme G) il a été décidé de ne pas la renouveler dans ses fonctions.

 

C’est dans ces conditions que Mme G saisit le Tribunal de commerce pour demander le paiement d’une indemnité statutaire et en dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire de ses fonctions. Le Tribunal de commerce la déboute de ses demandes.

 

Mme G interjette appel de la décision. L’affaire est portée devant la Cour d’appel d’Orléans qui confirme la décision de première instance.

 

Mme G forme un pourvoi en cassation aux motifs, d’une part, que le mandat de Président d’une SAS peut être reconduit tacitement et, d’autre part, que la rupture du mandat du dirigeant en cours d’exercice, sans motif grave, et de façon brutale et vexatoire, ouvre droit à indemnisation.

 

Par un arrêt du 17-03-2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme G en ces termes « Lorsque le président d’une société par actions simplifiée a été nommé pour une durée déterminée, la survenance du terme entraîne, à défaut de renouvellement exprès, la cessation de plein droit de ce mandat. Le président qui, malgré l’arrivée du terme, continue de diriger la société ne peut donc pas se prévaloir d’une reconduction tacite de ses fonctions et devient alors un dirigeant de fait qui, à l’égard de la société, ne peut revendiquer les garanties dont bénéficie le seul dirigeant de droit. »

 

[L’avis du Cabinet]

 

A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur cette question. Si l’arrêt marque une continuité avec les décisions de diverses Cours d’appel quant aux dirigeants de SARL et SA (Ex. : Cour d’appel de Versailles, du 12 septembre 2002, 2000-7416 et Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 8, 16 octobre 2018, n° 16/03087), elle affirme ici la nécessité de désigner et proroger expressément le mandat des dirigeants sociaux lors d’une Assemblée Générale, et ce pour l’ensemble des sociétés.

 

Il est donc clairement recommandé au dirigeant d’une société de prévoir, dans l’Assemblée Générale précédant la date de fin de son mandat social, le sujet de la désignation/prorogation d’un dirigeant dans l’Ordre du jour.

 

En effet, la sanction parait relativement sévère : « Le président qui, malgré l’arrivée du terme, continue de diriger la société ne peut donc pas se prévaloir d’une reconduction tacite de ses fonctions et devient alors un dirigeant de fait qui, à l’égard de la société, ne peut revendiquer les garanties dont bénéficie le seul dirigeant de droit. »

 

Pour rappel, le dirigeant de fait est titulaire des mêmes obligations qu’un dirigeant de droit, sans avoir les mêmes droits. A titre d’exemple, il ne peut notamment pas se prévaloir d’indemnités de rupture de son mandat, il ne peut pas non plus s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant une délégation de pouvoirs, ce qui est attaché aux dirigeants de droit. En revanche, le dirigeant de fait sera responsable de ses fautes au même titre que le dirigeant de droit.

 

Plusieurs questions se posent :

 

(1) la société est-elle fondée à engager contre le dirigeant de fait une action en répétition de l’indue au titre des rémunérations perçues postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat ?

 

(2) la société, qui poursuit la rémunération du dirigeant postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat, est-elle coupable de travail dissimulé ?

 

(3) la société, qui poursuit la rémunération du dirigeant TNS postérieurement à l’arrivée du terme de son mandat, est-elle admissible à un redressement URSSAF ?

 

(4) la société peut-elle régulariser par la convocation d’une AG renouvelant le mandat expiré de manière rétroactive ?

 

(5) les actes passés par le dirigeant postérieurement à l’arrivée du terme peuvent-ils être remis en cause par les tiers ?

 

L’absence de rémunération du dirigeant n’est pas de nature à atténuer sa responsabilité pour insuffisance d’actifs.

Dans un arrêt du 9 décembre 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre du dirigeant, non rémunéré.

 

En l’espèce, la société Pôle Elevage est admise au bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du 30 septembre 2014. La procédure est convertie en liquidation judiciaire par jugement du 6 mars 2015. C’est à cette occasion que le liquidateur a recherché la responsabilité du président de la SAS, pour insuffisance d’actif.

 

Après un recours en première instance, l’affaire est portée devant la cour d’appel d’Amiens qui accueille la demande du liquidateur et condamne le dirigeant au paiement d’une somme de 500.000 euros à la société au titre de sa contribution à l’actif.

 

Dans le cadre de son pourvoi en cassation, le dirigeant fait valoir, au visa de l’article 1992 du Code civil, que le caractère gratuit de son mandat social serait de nature à voir sa responsabilité s’appliquer moins rageusement.

 

Réponse de la Cour :

 

« La cour d’appel a énoncé à bon droit que l’article 1992, alinéa 2, du code civil, selon lequel la responsabilité générale du mandataire est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit, ne concerne pas la situation du dirigeant d’une personne morale en liquidation judiciaire poursuivi en paiement de l’insuffisance d’actif de celle-ci sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce, la responsabilité de ce dirigeant s’appréciant, sur le fondement de ce texte spécial, de la même manière, qu’il soit rémunéré ou non. »

 

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 décembre 2020, 18-24.730, Publié au bulletin

Les critères de choix entre la SARL et la SAS

La Société à Responsabilité Limitée (SARL) est une institution ancienne en droit des sociétés, puisqu’elle apparait pour la première fois dans une loi du 23 mai 1863, mais ne sera légalisée – sous la forme que nous connaissons aujourd’hui – que par une loi du 7 mars 1925. Elle était, jusqu’en 2015, la forme sociétale la plus utilisée en France.

Elle connait depuis 2016 un succès amoindri du fait de la création d’une autre forme sociale, dès lors la plus utilisée sur notre territoire : la Société par Actions Simplifiée (SAS).

Cette dernière a vu le jour par la loi du 3 janvier 1994 et devait permettre de préserver les opérateurs économiques qui fuyaient vers d’autres états européens, lesquels possédaient des systèmes plus souples.

Dans cette perspective, la loi LME (Loi de Modernisation de l’Economie) du 4 août 2008 a harmonisé les règles de la SAS avec celles de la SARL – lesquelles sont très attractives – tout en conservant son avantage de liberté contractuelle.

Par conséquent, eu égard à leur attractivité, il est fréquent que de futurs associés hésitent entre ces deux véhicules juridiques ; raison pour laquelle il est capital de souligner leurs points de divergences – bien que les deux droits soient ressemblants – aux fins de choisir la forme la plus avantageuse.

 

La nature des titres

 

Dans une SARL : le capital social est réparti en parts sociales. Elles sont toutes de même catégorie.

Dans une SAS : le capital social est réparti en actions. Elles peuvent être de deux catégories : les actions ordinaires et les actions de préférences. Elles se distinguent par leurs prérogatives qui sont différentes. Une action ordinaire octroi un droit de vote aux assemblées, un droit d’information et un droit au dividende. En revanche, une action de préférence peut être créée avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent, ces droits étant définis par les statuts. Ainsi elles accordent des droits différents de ceux attribués par les actions ordinaires puisqu’elles permettent d’attribuer un droit de vote modifié ou/et des droits financiers privilégiés.

 

Le nombre d’associés (ou actionnaires)

 

Dans une SARL : le nombre d’associé est plafonné à 100.

Dans une SAS : il n’existe aucune limite légale du nombre d’actionnaire.

 

La gouvernance

 

Dans une SARL : la direction est assurée par le gérant qui est nécessairement une personne physique. Plusieurs co-gérants peuvent être désignés.

Dans une SAS : la direction est assurée par un seul président, personne physique ou morale. La direction peut également être assurée, en parallèle, par d’autres organes tels qu’un (ou plusieurs) directeur(s) général(aux), un conseil d’administration …

 

La liberté statutaire

 

Dans une SARL : les règles de fonctionnement sont largement encadrées par le Code de commerce. Cela laisse peu de liberté contractuelle aux associés dans la rédaction des statuts et par là dans l’organisation du fonctionnement de la société, ce qui peut être vu comme un inconvénient, en cela que les associés sont bridés. Mais en réalité, il constitue également un avantage puisque ce faisant, le Code de commerce pose un cadre de sécurité juridique.

Dans une SAS : les règles de fonctionnement sont peu encadrées par le droit : les associés peuvent définir assez librement ces règles. Ce système est avantageux mais risqué puisqu’il implique que tout doit être régi dans les statuts. En outre, cette liberté contractuelle peut, en réalité, être un cadeau empoisonné du législateur, car les actionnaires, via les clauses de fidélisation de l’actionnariat, peuvent devenir prisonniers de leurs titres (avec la rédaction d’une clause d’inaliénabilité) ou se trouver sur un siège éjectable (avec l’insertion d’une clause d’exclusion).

 

La fiscalité des bénéfices

 

Dans une SARL et dans une SAS : la société est par principe soumise à l’Impôt sur les Sociétés (IS), avec néanmoins une particularité fiscale à l’égard des SARL de famille qui sont soumises à un régime spécifique. Il est toutefois possible, dans une SARL, d’opter pour l’Impôt sur le Revenu.

A ce titre, rappelons les taux applicables : (service-publique.fr)

 

*IS à taux réduit (15 % et 28 % en fonction des seuils) :

Les taux réduits concernent les PME dont :

– le CAHT est inférieur à 7,63 millions €

– le capital a été entièrement reversé et est détenu à au moins 75 % par des personnes physiques (ou par une société appliquant ce critère).

Le taux de 15 % s’applique sur la tranche inférieure à 38 120 € de bénéfices pour les entreprises dont :

– le CAHT est inférieur à 7,63 millions €

– le capital a été entièrement reversé et est détenu à au moins 75 % par des personnes physiques (ou par une société appliquant ce critère).

Ces conditions sont cumulatives.

Le taux de 28 % s’applique, pour l’exercice ouvert à partir du 1er janvier 2020 au-delà de 38 120 € de bénéfices.

 

*IS à taux normal (28 % et 31 %) :

Pour les exercices ouverts du 1er janvier au 31 décembre 2020, le taux normal de l’IS est de 28 % sur la totalité du résultat fiscal.

Il existe une dérogation pour les entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires d’au moins 250 millions € au cours de ces mêmes exercices. Les taux normaux de l’impôt sur les sociétés qui s’appliquent à ces dernières sont :

– de 28 % jusqu’à 500 000 €

– et 31 % au-delà de cette somme.

 

Le régime social des dirigeants

 

Dans une SARL : le régime social du gérant dépend de sa qualité d’associé et du pourcentage de détention du capital social qu’il détient :

– s’il est associé minoritaire ou égalitaire et qu’il perçoit une rémunération, il est rattaché au régime général de la sécurité sociale en tant qu’« assimilé salarié » ;

– s’il est majoritaire, il est rattaché à la Sécurité sociale des Indépendants en tant que « travailleur non salarié ».

Dans une SAS : quelle que soit sa part de détention dans le capital social, le Président (ou le Directeur Général) est rattaché au régime général de sécurité sociale avec le statut « assimilés-salariés », sauf s’il ne perçoit aucune rémunération.

 

Les cotisations sociales sur la rémunération des dirigeants

 

Dans une SARL (uniquement si le gérant est majoritaire dans le capital) : le gérant est soumis au régime social des « Travailleur Non-Salariés » (TNS). Il cotise donc à la Sécurité sociale pour les indépendants. Sauf si la société est assujettie à l’impôt sur le revenu, l’assiette de cotisations correspond à la rémunération nette versée au dirigeant.

Dans une SAS (ou le gérant minoritaire de SARL) : le dirigeant (président, directeur général pour la SAS, gérant pour la SARL) est soumis au régime social « assimilé salarié ». Il cotise donc au régime général de la sécurité sociale. L’assiette de cotisations correspond à la rémunération versée au dirigeant. Les cotisations sont calculées sur la base de la rémunération perçue par le dirigeant (rémunération, avantages en nature, etc).

Approximativement, les cotisations au régime général pour le dirigeant ont un coût deux fois plus important que les cotisations des travailleurs indépendants. En revanche, la protection sociale du gérant majoritaire de SARL est moins efficace que celle du président de SAS ou du gérant minoritaire de SARL. Pour pallier cette carence, le gérant majoritaire de SARL devra souscrire à une prévoyance qu’il pourra adapter à ses besoins.

 

La fiscalité des dividendes

 

Dans une SARL et dans une SAS : depuis le 1er janvier 2018 a été instaurée le prélèvement forfaitaire unique (PFU), dénommé aussi « Flat Tax », lequel consiste à frapper les revenus de capitaux mobiliers à un taux forfaitaire unique de 12,8 % qui, ajouté aux prélèvements sociaux de 17,2 %, constitue un prélèvement global de 30 %.

 

Les cotisations sociales sur les dividendes

 

Dans une SARL : les dividendes du gérant majoritaire sont soumis à cotisation sociales sur la part excédant 10 % du capital social. Ainsi, dans une SARL au capital de 100.000 euros, les 10.000 premiers euros de dividende sont exonéré de cotisations sociales, alors qu’ils y sont soumis au-delà. Il est donc opportun d’opter pour un capital social important dans une SARL.

Le montant de ces cotisations sociales avoisine les 46 %.

Dans une SAS : les dividendes sont exonérés de cotisations sociales.

 

Les modalités de la cession des titres

 

Dans une SARL : la procédure est contraignante puisqu’en cas de cession à un tiers, le Code de commerce impose la procédure d’agrément qui implique le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. En tout état de cause, un acte de cession des titres devra être établi et signé entre cédant et cessionnaire.

Dans une SAS : la procédure est plus souple puisque la cession des titres est libre par principe, sauf clause contraire. En outre, entre actionnaires, la cession peut se formaliser par la signature d’un simple formulaire cerfa avec la tenue d’un registre de mouvement.

 

La fiscalité de la cession de la cession des titres

 

Dans une SARL : la cession de droits sociaux est soumise aux droits d’enregistrement de 3,0 % après abattement de 23.000 euros (proratisé en fonction du pourcentage de détention).

Dans une SAS : la cession de droits sociaux est soumise aux droits d’enregistrement de 0,1 %.

 

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A l’évidence, les deux formes sociales ne visent pas les mêmes acteurs du monde économique. La SAS semble davantage se destiner à des projets d’envergures, nécessitant toute la souplesse de cette forme pour fluidifier l’activité ou à une collectivité avec de nombreux associés aux profils différents. A l’inverse, la SARL parait plus adaptée à des collectivités d’associés plus étroites ou des activités familiales, requérant la précision du droit de la SARL afin de sécuriser l’activité par l’instauration d’un cadre juridique rigoureux. En outre, la question de l’optimisation fiscale du dirigeant est fondamentale dans le choix de la structure.

Ainsi, avant de choisir l’une ou l’autre des formes sociales, mieux vaut prendre conseil auprès d’un avocat spécialisé.