Protection du patrimoine de l’entrepreneur : La protection offerte par la déclaration notariée d’insaisissabilité subsiste après la cessation d’activité et la radiation du RCS de l’entrepreneur

[Résumé]

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 17 novembre 2021 que la cessation d’activité de l’entrepreneur n’a pas pour effet de mettre fin aux effets de la déclaration notariée d’insaisissabilité.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 novembre 2021, 20-20.821, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

Faits de l’arrêt – En l’espèce, un entrepreneur individuel avait déclaré insaisissables ses droits sur une maison d’habitation lui appartenant ainsi qu’à son épouse commune en biens. Ce dernier déclare quelques années plus tard la cessation de son activité professionnelle suite à une liquidation judiciaire. Un liquidateur judiciaire est désigné par le tribunal. Celui-ci s’est vu opposer la déclaration notariée d’insaisissabilité dans le cadre de sa mission de réalisation des actifs. Il assigne donc l’entrepreneur en inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité.

Procédure – Le liquidateur reproche aux juges d’avoir déclaré valide la déclaration notariée d’insaisissabilité alors que selon lui elle ne peut pas produire d’effets dans la mesure où l’article 526-1 du code de commerce est d’interprétation stricte et qu’il ne prévoit une protection par le biais de cette déclaration que des personnes physiques immatriculées à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante. Le liquidateur estime donc que la perte de la qualité d’exploitant professionnel de l’entrepreneur du fait de sa radiation à une date antérieure à l’ouverture de la liquidation judiciaire a nécessairement eu pour conséquence d’entraîner la cessation des effets de la déclaration notariée d’insaisissabilité.

Réponse de la cour d’appel – La Cour d’appel estime que lorsqu’une procédure collective a été régulièrement ouverte au bénéfice de l’exploitant, fut il radié du registre professionnel la déclaration d’insaisissabilité du bien litigieux est opposable au liquidateur judiciaire en dépit du fait que le débiteur a radié son activité quelques mois avant le dépôt de bilan motif pris que l’article susvisé vise à protéger certains biens de l’exploitant dans le cadre de son activité professionnelle à l’égard de ses créanciers professionnels.

Question – La déclaration notariée d’insaisissabilité offrant à l’entrepreneur une protection à l’encontre de ses créanciers professionnels subsiste-elle lorsqu’il décide de cesser son activité professionnelle et de se radier du RCS ?

Réponse de la Cour de cassation – Les Hauts magistrats de la Cour de cassation répondent par la positive et suivent le raisonnement juridique de la Cour d’appel et indiquent que selon l’article L. 526-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 6 août 2015, applicable en la cause, la déclaration notariée d’insaisissabilité que peut faire publier la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant. Il en résulte que les effets de cette déclaration subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, sauf renonciation du déclarant lui-même, de sorte que la cessation de son activité professionnelle ne met pas fin, par elle-même, aux effets de la déclaration.

[L’avis du Cabinet]

La cessation d’activité de l’entrepreneur n’a pas pour effet de mettre fin aux effets de la déclaration notariée d’insaisissabilité. En effet, la cessation d’activité de l’entrepreneur et sa radiation du RCS ne lui fait pas perdre le bénéfice de la déclaration d’insaisissabilité en cas d’ouverture consécutive d’une procédure collective.

Cette solution parait logique dans la mesure où les créances professionnelles dont il est question sont nées après la déclaration, mais avant la cessation d’activité. Elles sont donc « couvertes » par la déclaration notariée d’insaisissabilité.

Restructuration du capital d’une société : en cas de « coup d’accordéon », la réduction et l’augmentation de capital social sont indivisibles

[Résumé]

Dans une décision du 4 janvier 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 janvier 2023, Pourvoi n°21-10.609, Publié au Bulletin)

 

[Rappel des faits et de la procédure]

Faits de l’arrêt – En l’espèce, une SAS (ci-après « la société Intégrale ») était détenue à 50 % par son président et actionnaire (ci-après « actionnaire 1 »), à 25 % par un actionnaire (ci-après « l’actionnaire 2 ») et à 25 % par un troisième actionnaire (ci-après « l’actionnaire 3 »). Le 30 juin 2015, l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Intégrale a décidé de la réduction à zéro du capital social et de l’augmentation de ce capital par création d’actions nouvelles, avec maintien du droit préférentiel de souscription aux actionnaires. Elle a également pris acte de ce qu’à l’issue de cette opération le président était devenu l’actionnaire unique de la société Intégrale.

Procédure – Contestant la régularité de cette opération, l’actionnaire 2 a saisi, en référé, le président d’un tribunal de commerce, lequel a, par une ordonnance suspendu la quatrième résolution de l’assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2015, constatant que le président avait souscrit à l’intégralité de l’augmentation de capital et était devenu l’actionnaire unique de la société Intégrale, ainsi que les cinquième et sixième résolutions, constatant le nouveau capital social de la société et modifiant en conséquence ses statuts.

Une autre société a été a été constituée le 1er octobre 2015 (ci-après « la société Intégrale prépa »), son capital étant détenu à 60 % par la société Intégrale et à 40 % par le président de la société Intégrale.

Par une délibération du 16 novembre 2015 de son actionnaire unique, l’actionnaire 1 de la société Intégrale a décidé un apport partiel d’actifs portant sur les branches d’enseignement « scientifique » et « économique », au profit de la société Intégrale prépa. Le 10 février 2016, l’assemblée générale de la société Intégrale prépa a approuvé cet apport partiel d’actifs, ainsi que la cession à deux personnes par la société Intégrale, d’une partie des nouvelles actions qu’elle avait reçues dans la société Intégrale prépa en rémunération de cet apport.

L’actionnaire 1 est décédé le 4 juillet 2016, en laissant pour lui succéder ses enfants, lesquels sont devenus associés de la société Intégrale. Par acte du 8 août 2016, l’actionnaire 3 a assigné les sociétés Intégrale et Intégrale prépa et son président en annulation de l’apport partiel d’actifs.

Réponse de la cour d’appel – La cour d’appel de Paris a jugé qu’un actionnaire a perdu cette qualité à la suite de la réduction à zéro du capital de la société, et a retenu que l’augmentation de capital ayant suivi, dont la réalisation avait été suspendue, n’était pas effective. Les requérants estiment qu’un coup d’accordéon prenant la forme d’une réduction du capital social à un montant nul suivi d’une augmentation immédiate du capital constitue une opération unique et indivisible, la réduction du capital à zéro ne pouvant produire effet qu’à la condition que les associés procèdent à une augmentation concomitante et effective du capital social.  Les requérants forment alors un pourvoi en cassation.

Réponse de la Cour de cassation – La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel et rappelle le principe selon lequel il résulte des articles L. 210-2 et L. 224-2 du code de commerce que la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire. Ainsi, la Cour a censuré l’arrêt d’appel qui a jugé qu’un actionnaire a perdu cette qualité à la suite de la réduction à zéro du capital de la société, alors qu’elle a retenu que l’augmentation de capital ayant suivi, dont la réalisation avait été suspendue, n’était pas effective, ce dont elle aurait dû déduire que la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver celle-ci de tout capital, légalement produire effet.

 

[L’avis du Cabinet]

Par définition, le « coup d’accordéon » est une technique utilisée afin d’assainir la situation financière d’une société, notamment lorsque la valeur de l’actif est inférieure à la valeur du capital. Elle consiste en la succession quasi simultanée de deux opérations : une réduction de capital suivi d’une augmentation de capital généralement souscrite par le repreneur.

Pour rappel, le montant du capital social est déterminé par les statuts de la société (art. L. 210-2 du code de commerce).

S’agissant des sociétés par actions, le capital social doit être de 37 000 € au moins. La réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital destinée à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l’alinéa précédent, à moins que la société ne se transforme en société d’une autre forme. En cas d’inobservation, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Cette dissolution ne peut être prononcée si, au jour où le tribunal statue sur le fond, la régularisation a eu lieu (art. L. 224-2 du code de commerce).