Par acte du 10 décembre 2003, la société Crédit industriel et Commercial de l’Ouest consent à la société Andrea Consulting un prêt, destiné à l’acquisition de parts de la société Sold’Or. Le prêt est garanti, d’une part, par un cautionnement et, d’autre part, par le nantissement des titres acquis par le prêt. Le 30 juin 2010, la société Sold’Or est absorbée par la société Altea Finances, laquelle est placée en redressement puis liquidation judiciaire. La banque déclare sa créance (admise à titre chirographaire du fait de l’absorption qui fait disparaître l’assiette du nantissement) et assigne la caution en paiement.
Après un recours en première instance, l’affaire est portée devant la Cour d’appel de Rennes le 8 janvier 2019, laquelle rejette les demandes de la Banque envers la caution.
La banque forme un pourvoi en cassation.
La banque reproche d’abord à l’arrêt d’appel d’inverser la charge de la preuve. Elle rappelle que la caution a l’obligation d’établir la capacité de la débitrice à solder son emprunt ou la possibilité de substituer une autre garantie ; obligation dont la caution aurait dû s’acquitter au moment de la fusion-absorption. Par ailleurs, elle évoque le fait qu’une caution ne peut aspirer à être déchargée, que dans l’hypothèse où elle démontre qu’un fait exclusif du créancier lui a fait perdre un droit certain.
Or, dans les faits, certes la banque avait le pouvoir de former opposition au projet de fusion-absorption, demandant au juge soit le remboursement immédiat du solde de la créance, soit la constitution de nouvelles garanties ; toutefois la banque rappelle qu’en l’espèce, le pouvoir d’ordonner la constitution de garanties relève seulement du juge saisi.
Par conséquent, l’abstention d’opposition du demandeur ne peut constituer un fait exclusif puisque son sort dépendait du pouvoir du juge saisi de l’opposition.
Enfin, elle se prévaut de l’exigence de preuve, par la caution, d’un avantage effectif causé par la perte du droit préférentiel.
La Cour d’appel avait retenu un tel préjudice comme étant le fait de devoir répondre personnellement des engagements non tenus par la débitrice principale.
Or, en tout état de cause, le créancier aurait pu obtenir le paiement de sa créance, par le jeu du droit d’opposition.
La Cour de Cassation, dans son arrêt du 23 septembre 2020, rejette le pourvoi. Elle confirme ainsi l’arrêt d’appel et estime de prime abord que la banque était à même de protéger ses intérêts en usant de son droit d’opposition conféré par l’article L 236-14 du Code de Commerce.
Elle relève ensuite que la banque a manqué de vigilance puisqu’elle avait la possibilité de demander soit le remboursement du solde de sa créance, soit la constitution de nouvelles garanties destinées à remplacer celle dont elle disposait jusqu’alors.
Par conséquent, la banque bénéficiait de plusieurs moyens pour s’assurer du maintien et de la jouissance de son droit de créance et de préférence.
Par ces motifs, la caution établit un fait fautif, exclusivement imputable au créancier à l’origine de la perte de son droit préférentiel.
La Haute juridiction constate en outre que le demandeur n’a justifié ni de l’incapacité de la société absorbante (au moment de la fusion-absorption) à solder le prêt litigieux, ni de l’impossibilité de cette dernière de constituer d’autres garanties, si bien que la banque n’établit pas l’absence de préjudice engendré pour la caution par sa carence.
En somme, cet arrêt rappelle que le professionnel bancaire ne peut se laisser aller à l’attente passive des événements ; il doit avoir une démarche active afin de s’assurer du bon maintien de ses droits, qui peuvent être menacés par un ensemble d’évènements ; en l’espèce liés à la vie et l’évolution de la société.
De même sa réactivité doit lui permettre de jouir efficacement de ses droits ; in casu la banque avait la faculté d’être désintéressée en réclamant le remboursement du solde de sa créance ; ou a minima de les maintenir en l’état ; puisque la banque avait la capacité de demander au juge la constitution de nouvelles garanties aux fins de remplacer celles dont elle bénéficiait.
Au demeurant, la constitution de deux garanties, dont l’essence était d’assurer de manière indéfectible le remboursement du prêt, ne dispose d’aucune valeur face à une telle négligence.
L’oisiveté connaît, à cet égard, toujours une issue défavorable, en témoigne la remarque de la fourmi à la cigale, sous la plume de Jean de la Fontaine « Vous chantiez ? j’en suis fort aise : Et bien ! dansez maintenant. ».
(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 23 septembre 2020, 19-13.378, Publié au bulletin)