[Résumé]

Dans une décision en date du 7 juillet 2021, la Haute juridiction vient cantonner les pouvoirs du juge à l’occasion de la désignation d’un expert pour l’évaluation des droits sociaux sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil. La Chambre commercial décide qu’en présence d’une contestation portant sur la détermination des statuts applicables ou de la convention liant les parties que l’expert est tenu d’appliquer en vertu du texte précité, le président du tribunal saisi sur le fondement de ce texte doit surseoir à statuer sur la demande de désignation de l’expert dans l’attente d’une décision du tribunal compétent, saisi à l’initiative de la partie la plus diligente.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2021, 19-23.699, Publié au bulletin)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce les statuts d’une SAS prévoyait l’exclusion de plein droit, d’un associé dans le cas où il serait mis fin au contrat de travail. L’intéressé a été licencié par la société le 14 mars 2018, entrainant son exclusion comme associé.

Or les statuts ont postérieurement été modifiés en assemblée pour modifier les dispositions relatives aux modalités de transmission des droits sociaux, en imposant à l’associé sortant un ajustement à la baisse du prix de cession par application d’une certaine formule.

En août le dirigeant a notifié à l’associé son exclusion de la société et la valeur unitaire de ses actions.

Contestant cette évaluation, l’associé a assigné la société en désignation d’un expert, sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil.

Les juges du fond acceptèrent la demande de désignation d’un expert et estimèrent que la formule de calcul dans la version modifiée des statuts n’était pas opposable à l’associé exclu. La société forma un pourvoi en cassation.

La Cour régulatrice estime que :

« En présence d’une contestation portant sur la détermination des statuts applicables ou de la convention liant les parties, que l’expert est tenu d’appliquer en vertu du texte précité, le président du tribunal saisi sur le fondement de ce texte doit surseoir à statuer sur la demande de désignation de l’expert dans l’attente d’une décision du tribunal compétent, saisi à l’initiative de la partie la plus diligente.

Pour déclarer irrecevable l’appel nullité formé contre l’ordonnance du président du tribunal ayant, d’une part, dit que les statuts modifiés par l’assemblée générale extraordinaire du 26 juillet 2018 n’étaient pas opposables à M. S. pour l’évaluation du prix de rachat de ses actions, et, d’autre part, désigné un expert ayant pour mission de déterminer la valeur de ces actions, l’arrêt retient que ne constitue pas un excès de pouvoir le fait, pour le président du tribunal de commerce statuant sur le fondement du texte susvisé, d’estimer que sont inopposables à M. S. les statuts ainsi modifiés.

En statuant ainsi, alors qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du président du tribunal, saisi sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, de trancher la contestation relative à la détermination des statuts applicables, la cour d’appel a violé ce texte ».

[L’avis du Cabinet]

L’article 1843-4 du code civil est une source de contentieux importante, ce dont témoigne parfaitement le présent arrêt. Il prévoit que « dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties ».

Or en l’espèce si le déclenchement de ce texte dans le cadre d’une exclusion statutaire ne faisait pas de difficultés, c’est de l’étendue des pouvoirs du juge dont il était question à cette occasion. Dans son ordonnance de désignation de l’expert, le président du tribunal avait estimé que les statuts modifiés par l’assemblée générale extraordinaire du 26 juillet 2018 n’étaient pas opposables à M. S. pour l’évaluation du prix de rachat de ses actions. L’appel nullité contre cette ordonnance avait été jugé irrecevable. En effet, l’on sait que les ordonnances procédant à la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 ne sont judiciairement critiquable que sur la base d’un excès de pouvoir. Or en l’espèce la cour d’appel avait estimé que tel n’était pas le cas.

L’arrêt est censuré sur ce point. Pour la chambre commerciale, « En présence d’une contestation portant sur la détermination des statuts applicables ou de la convention liant les parties, que l’expert est tenu d’appliquer en vertu du texte précité, le président du tribunal saisi sur le fondement de ce texte doit surseoir à statuer sur la demande de désignation de l’expert dans l’attente d’une décision du tribunal compétent, saisi à l’initiative de la partie la plus diligente ».

Par la présente décision la Haute juridiction offre une illustration assez rare d’un excès de pouvoir dans la mise en œuvre de l’article 1843-4 du code civil. Dans la mesure où il existait une contestation sur la version des statuts à suivre, l’ordonnance de désignation de l’expert ne pouvait trancher cette question qui relevait de la compétence du tribunal de commerce.

Le juge, l’expert et l’actionnaire : le contentieux de la valorisation des actions restreint les pouvoirs du juge

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