Commercial : La protection de l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale ne concerne que les dettes professionnelles nées postérieurement à la loi Macron du 06 août 2015

[Résumé]

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 13 avril 2022 le principe selon lequel l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle après la publication de la loi, c’est-à-dire le 08 août 2015. La Cour a indiqué plus spécifiquement qu’il en résulte que le liquidateur ne peut agir en licitation-partage de l’immeuble indivis constituant la résidence principale de l’indivisaire en liquidation judiciaire, que si tous les créanciers de la procédure ont des créances nées avant la publication de la loi, les droits du débiteur sur l’immeuble étant alors appréhendés par le gage commun.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 avril 2022, n°20-23.165)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce, un couple est propriétaire indivis d’un bien immobilier qui constitue leur résidence principale. Le mari exerçant la profession de peintre, a été mis en liquidation judiciaire. Un liquidateur judiciaire est désigné par le tribunal. Celui-ci s’est vu opposer l’insaisissabilité de plein droit prévu par l’article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 par l’épouse qui refusait de vendre l’immeuble. Il l’assigne donc devant le tribunal aux fins de partage judiciaire de l’indivision et de vente aux enchères publiques de l’immeuble.

Le liquidateur reproche aux juges d’avoir déclaré irrecevable son action en partage et licitation de l’immeuble indivis, alors que la loi du 6 août 2015 ne fait produire effet à l’article L. 526-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de cette loi, qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur après la publication de cette loi. Il indique que l’essentiel des créances déclarées par l’entrepreneur étaient antérieures au 8 août 2015, date de publication de la loi du 6 août 2015, et que le premier alinéa de l’article L. 526-1, dans sa rédaction résultant de l’article 206 de ladite loi, n’avait pas d’effet à l’égard des créanciers dont les droits étaient nés avant sa publication.

La cour d’appel estime que l’action du liquidateur en partage et licitation du bien immobilier, est irrecevable au motif que l’entrepreneur a été placé en liquidation judiciaire, de sorte que les dispositions de l’article L. 526 alinéa 1 du code de commerce, issues de la loi du 6 août 2015, sont applicables à la procédure collective le concernant et qu’il n’est donc pas opérant d’invoquer l’applicabilité des dispositions de la loi du 6 août 2015 aux seuls créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de cette loi.

En cas de liquidation judiciaire de l’entrepreneur, le liquidateur peut-il ramener sa résidence principale dans le giron de la procédure collective au motif que l’insaisissabilité est inopposable à une grande partie des créanciers professionnels, le bien méritant ainsi d’être appréhendé par la saisie globale ?

La Cour de cassation répond par la négative et donne raison à la cour d’appel au motif que l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur résultant de l’article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 n’a d’effet, en application de l’article 206, IV, alinéa 1er, de cette loi, qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle après la publication de la loi. Il en résulte que le liquidateur ne peut agir en licitation-partage de l’immeuble indivis constituant la résidence principale de l’indivisaire en liquidation judiciaire, que si tous les créanciers de la procédure ont des créances nées avant la publication de la loi, les droits du débiteur sur l’immeuble étant alors appréhendés par le gage commun. Dès lors qu’il est soutenu par le liquidateur que l’essentiel des créances déclarées sont antérieures au 8 août 2015, date de la publication de la loi, et non leur totalité, l’arrêt de la cour d’appel retient exactement qu’il n’est pas opérant de la part du liquidateur, en l’espèce, d’invoquer l’opposabilité de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale du débiteur aux seuls créanciers dont les droits sont nés postérieurement, et que l’action est irrecevable.

[L’avis du Cabinet]

Avant la loi Macron du 6 août 2015, un entrepreneur qui souhaitait protéger sa résidence principale de toute saisie par l’un de ses créanciers devait déclarer par acte notarié d’insaisissabilité cette dernière. Ce mécanisme de protection dont le formalisme était fastidieux et couteux, en décourageait plus d’un. Dès lors, depuis 2015, la résidence principale d’un entrepreneur régulièrement immatriculé au RCS est de plein droit, c’est-à-dire automatiquement insaisissable par ses créanciers professionnels. La protection des autres biens fonciers est en revanche toujours conditionnée à une déclaration notariée d’insaisissabilité, ce que nous verrons dans la partie 2.

C’est l’article L. 526-1 al 1 du code de commerce qui régit ce principe en énonçant que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Par principe, l’insaisissabilité de plein droit ne concerne que les dettes professionnelles nées après le 08 août 2015. Il peut donc exister des créanciers professionnels auxquels l’insaisissabilité est inopposable.

La Cour de cassation s’oppose au raisonnement qui consisterait à dire que l’insaisissabilité est inopposable à une grande partie des créanciers professionnels et que donc cela justifie que le bien soit appréhendé par la saisie globale. Elle indique que cela serait possible que si l’insaisissabilité qui la frappe était inopposable à l’intégralité des créanciers professionnels, ce qui est sans doute un cas d’école.