Sociétés : les associés ne sont pas tenus aux pertes avant la liquidation, sauf clause contraire des statuts
[Résumé]
Dans une décision du 15 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel « il résulte de l’article 1832, alinéa 3, du code civil que, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution des associés aux pertes de la société ne s’exécute qu’à la liquidation de la société, de sorte que le solde débiteur du compte courant d’un associé résultant de l’affectation des pertes de la société ne constitue une créance exigible qu’à la liquidation de la société. »
Faits de l’arrêt – En l’espèce, le capital d’une société civile immobilière (ci-après « la SCI ») est détenu par deux associés à concurrence de 49 % et 51 % chacun. Par une ordonnance, un juge de l’exécution a autorisé la SCI à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes détenus par l’un des associés dans une banque, en garantie d’une créance correspondant au solde débiteur de son compte courant d’associé. Ce dernier a assigné la SCI en rétractation de cette ordonnance et en mainlevée de la saisie conservatoire.
Procédure – La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 24 septembre 2020 accorde la rétractation de cette ordonnance et ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire aux motifs que la créance, cause de la mesure conservatoire litigieuse, était hypothétique et que « l’obligation des associés à répondre des dettes sociales ne s’exerce qu’à l’égard des tiers » et que la contribution des associés « aux pertes de la société s’effectue uniquement à la dissolution de la société et si l’actif ne permet pas de couvrir le passif ».
Mécontent de cette décision, la SCI forme un pourvoi en cassation. Elle estime que la cour d’appel a violé la loi dans la mesure où le solde débiteur d’un compte courant d’associé, lequel s’analyse en un prêt, constitue une créance de la société contre l’associé débiteur, exigible à tout moment. Qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel a traité le solde débiteur du compte courant d’associée comme un élément du passif social, lorsqu’il constituait une créance que la SCI détenait contre l’associé.
Question – Ainsi, la question qui s’est posée devant les Hauts magistrats de la Cour de cassation était celle de savoir si la contribution des associés aux pertes de la société peut s’exécuter en dehors de la liquidation de la société ?
Réponse de la Cour de cassation – La Cour de cassation rappelle aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.
Elle ajoute qu’il résulte de l’article 1832, alinéa 3, du code civil que, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution des associés aux pertes de la société ne s’exécute qu’à la liquidation de la société, de sorte que le solde débiteur du compte courant d’un associé résultant de l’affectation des pertes de la société ne constitue une créance exigible qu’à la liquidation de la société.
[L’avis du Cabinet]
L’article 1832 al 3 du code de commerce dispose que « les associés [d’une société] s’engagent à contribuer aux pertes ».
En d’autres termes, tout associé doit contribuer aux pertes sociales. Toutefois, le code de commerce ne prévoit pas à quel moment cela soit s’effectuer.
Dans un arrêt du 29 octobre 2003, la Cour de cassation avait déjà considéré qu’en cours de vie, les associés n’étaient tenus de participer aux pertes que si les statuts de la société le prévoient. Dès lors, la société ne peut agir contre ses membres en paiement de ses pertes qu’en cas de dissolution de la société sauf stipulation contraire des statuts (Cass. com., 3 mars 1975 n° 73-13.721 – Cass. com., 29 octobre 2003 n° 00-17.538, à propos d’une SNC).
Ainsi, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution anticipée aux pertes est impossible. Elle s’apprécie par principe, lors de la dissolution de la société. En ce sens, les statuts de la société peuvent prévoir que les pertes seront portées sur le compte courant des associés, qui peuvent ainsi présenter un solde débiteur.
Autrement encore, La contribution anticipée aux pertes peut résulter d’une décision des associés, qui doit être prise à l’unanimité de ces derniers car elle entraîne une augmentation de leurs engagements. En ce sens, l’article 1836 du code de commerce dispose que « Les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par accord unanime des associés. En aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ».