Comment protéger son patrimoine lorsqu’on est entrepreneur individuel ?

Le patrimoine est l’ensemble des biens et des obligations d’une personne qui est envisagé comme une universalité de droit, c’est-à-dire comme une masse mouvante dont l’actif et le passif ne peuvent être dissociés.

Dès lors, il en ressort deux grands principes : 

  • Lorsque les dettes deviennent exigibles et qu’elles ne sont pas payées, le créancier est fondé à se payer sur le produit de la vente forcée des biens qui constitue le patrimoine. 
  • Lorsque le patrimoine est transmis, les dettes qui le grèvent le suivent. 

L’article 2284 du code civil dispose que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ». L’article 2286 du même code ajoute que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». 

Cela veut dire que les biens d’une personne servent de garantie, de « butin » aux différents créanciers qu’elle va rencontrer dans le cadre de son activité commerciale. De sorte que, si cette personne n’arrive pas à exécuter ses obligations, elle s’expose automatiquement à ce que ses créanciers saisissent ses biens et les fassent vendre afin de se désintéresser, se rembourser sur le prix de vente. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un créancier est plus enclin à accorder sa confiance, de faire crédit, à une personne ayant un patrimoine conséquent.$

L’entrepreneur doit donc juridiquement se protéger. 

Pour ce faire, il existe plusieurs techniques permettant de protéger certains biens du patrimoine de l’entrepreneur en les rendant insaisissables par ses créanciers professionnels : 

  • Le régime du patrimoine professionnel ad hoc 
  • L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale 
  • La déclaration notariée d’insaisissabilité des autres biens 
  • La création d’une personne morale autonome disposant d’un patrimoine propre 

Dans cet article nous allons nous consacrer à une de ces techniques : le régime du patrimoine professionnel ad hoc.

Contexte – L’EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) qui offrait aux entrepreneurs une séparation des patrimoines professionnels et personnels en créant un patrimoine ad hoc dédié à l’activité professionnelle n’a connu qu’un succès d’estime et le législateur a décidé de le mettre en sommeil pour lui préférer une séparation automatique des deux patrimoines grâce à une loi du 14 février 2022 entrée en vigueur le 15 mai 2022. Il n’est donc plus possible aujourd’hui de créer une EIRL, ni même de la transmettre aux héritiers car le décès de l’entrepreneur emporte la fin automatique de celle-ci. 

Textes fondateur – L’article l. 526-22 du code de commerce dispose que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil (…) l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation (…) ».

L’entrepreneur individuel – L’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. Cette activité peut être commerciale, artisanale, libérale (réglementée ou non) ou agricole. Selon le nouvel article R. 526-27 du code de commerce, l’entrepreneur individuel doit utiliser une dénomination incorporant son nom ou un nom d’usage ainsi que les mots « entrepreneur individuel » ou les initiales « EI ». 

Le patrimoine de l’entrepreneur individuel – À compter du 15 mai 2022, l’entrepreneur individuel est automatiquement titulaire de deux patrimoines distincts : 

  • Un patrimoine professionnel : les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes. Ce patrimoine ne peut être scindé. Seuls les créanciers professionnels bénéficient d’un droit de gage sur l’actif de ce patrimoine. La loi consacre ainsi un ensemble de biens, ceux utiles à l’activité de l’entreprise, auxquels sont corrélés les dettes nées de l’exploitation de cet ensemble. 
  • Un patrimoine personnel : constitué des éléments du patrimoine non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. Seuls les créanciers personnels bénéficient d’un droit de gage sur l’actif de ce patrimoine.

Les dettes concernées – La loi étant entrée en vigueur le 15 mai 2022, la séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur ne s’appliquera qu’aux créances nées postérieurement à cette date. Dès lors, les créanciers dont la créance est née avant cette date ne subiront pas cette division du patrimoine si bien que leur droit de gage continuera de concerner indistinctement l’ensemble des biens du débiteur. 

Personnes concernées – L’article susvisé offre cette protection aux personnes physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante (c’est-à-dire au RCS pour un commerçant, Répertoire des Métiers pour un artisan, Registre spécial des Agents commerciaux…). Si l’entrepreneur n’est pas tenu à immatriculation sur un registre, la protection prend effet à compter du premier acte qu’il exerce en qualité d’entrepreneur individuel, cette qualité devant apparaître sur les documents et les correspondances à usage professionnel afin que les tiers soient avisés de la scission patrimoniale. 

Les biens professionnels concernés – Le patrimoine professionnel de l’entrepreneur est constitué de biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à l’activité ou à la pluralité d’activités professionnelles indépendantes. Les biens utiles à l’activité sont ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité. Par exemple, le fonds de commerce, la marchandise, le matériel et l’outillage, les biens immeubles servant à l’activité y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur utilisée pour un usage professionnel, les fichiers clients, les brevets, les marques, les noms commerciaux, les sommes en numéraire conservées sur le lieu d’activité ainsi que les sommes inscrites sur les comptes bancaires dédiés à l’activité professionnelle…

Conséquence de la protection – L’entrepreneur n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel. Autrement dit, les créanciers professionnels ne peuvent saisir que le patrimoine professionnel et n’ont aucune main mise sur le patrimoine personnel quand bien même celui-ci serait conséquent et permettrait de les désintéresser entièrement. En ce sens, le créancier peut engager sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 526-22 al 7 du code de commerce s’il effectue une saisie abusive notamment s’il procède à une mesure d’exécution forcée ou conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général. 

La charge de la preuve sur la destination du bien – La charge de la preuve de l’appartenance d’un bien à tel ou tel patrimoine pèse sur le débiteur, soit l’entrepreneur. 

Renonciation à la distinction des patrimoines – La cloison entre les deux patrimoines n’est pas parfaitement étanche. En effet, l’entrepreneur peut toujours renoncer à cette distinction et c’est très souvent le cas en pratique car les créanciers sont très réticents à collaborer si le patrimoine accessible de ce dernier est limité. Il peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la distinction des patrimoines personnel et professionnel pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. Cette renonciation a un formalisme très strict. Elle doit, à peine de nullité, respecter les conditions des articles D. 526-28 et suivant du code de commerce. En outre, elle doit bien identifier l’engagement concerné ainsi que le créancier professionnel bénéficiaire de la mesure.  

Accorder des sûretés réelles sur des biens d’un patrimoine au bénéfice de l’autre – L’entrepreneur a le droit d’accorder des sûretés réelles sur des biens de l’un de ses patrimoines au profit d’un créancier de l’autre patrimoine. Toutefois, il ne peut pas se porter caution d’une dette dont il est le débiteur principal sur l’un de ses patrimoines. Cette solution est logique dans la mesure où le cautionnement est le contrat par lequel la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur. Le cautionnement nécessite donc nécessairement une opération triangulaire, soit avec trois personnes distinctes.  

En cas de cessation d’activité ou de décès de l’entrepreneur – Dans ces cas, les patrimoines personnel et professionnel sont à nouveau réunis et ne forment plus qu’un. Les créanciers de l’entrepreneur décédé ou ayant cessé son activité professionnelle peuvent de nouveau saisir l’ensemble des biens qui constituent le patrimoine ne formant plus qu’un.