[Résumé]

Dans une décision du 09-06-2021, la Cour de cassation revient sur les conditions d’une action fondée sur l’abus du droit de vote. Elle rappelle que pour être constitutif d’un abus de minorité, l’opposition d’un associé à l’adoption d’une résolution doit procéder de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés.

(Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 juin 2021, 19-17.161, Inédit)

[Rappel des faits et de la procédure]

En l’espèce une SCI avait été constitué entre trois associés respectivement détenteurs de six parts chacun pour les deux premiers et quatre parts pour le dernier. Cette société était propriétaire d’un unique bien mis en location à une SARL constituée entre les mêmes associés. Or l’un des associés avait refusé de voter en faveur de la vente du bien immobilier donné à bail à la SARL. Les autres associés saisirent le juge des référés aux fins de désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission d’exercer à sa place le droit de vote attaché à ses parts lors de la prochaine assemblée générale ayant pour ordre du jour cette vente. Ils soutenaient que seule cette vente était en mesure de reconstituer la trésorerie de la SCI. Les juges du fond acceptèrent la demande ainsi formée, ce qu’entendait critiquer le pourvoi en cassation.

La Haute juridiction dans une décision du 09-06-2021 rendue au visa de l’article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction alors applicable énonce que : « L’existence d’un abus de minorité suppose que la preuve soit rapportée, d’un côté, que l’attitude du minoritaire est contraire à l’intérêt général de la société et, de l’autre, qu’elle procède de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».

En conséquence, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond pour ne pas avoir caractérisé en quoi le refus du minoritaire « de voter pour la vente du bien litigieux procédait de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».

[L’avis du Cabinet]

Pour rappel, l’abus de minorité permet de sanctionner l’usage à mauvais escient qu’un associé minoritaire ferait de son droit de vote. S’il peut l’exprimer dans le sens qu’il souhaite, il convient que ce vote ne dégénère pas en abus. La jurisprudence a pour cela poser des conditions. Elle estime que le vote est abusif lorsqu’il est contraire à l’intérêt général de la société et exercé dans l’unique dessein de favoriser les intérêts du minoritaire au détriment des autres associés.

En l’espèce, les Hauts magistrats font une application orthodoxe de ses conditions puisqu’ils censurent une décision qui avait admis l’abus sans caractériser les vues égoïstes de l’associé refusant de voter pour la vente du bien immobilier de la société civile. Les critères énoncés pour l’identification d’un abus du droit de vote sont donc bien cumulatifs et non alternatifs comme le rappelle ici la Cour de cassation.

Les juges du droit entendent réserver la qualification d’abus du droit de vote aux hypothèses les plus pathologiques. Droit fondamental de l’associé s’il en est, ce droit doit pouvoir s’exercer librement, la sanction de l’abus n’intervenant que marginalement. Le dessein égoïste pourra les cas échéant être démontré par la volonté de nuire du minoritaire ou encore tout autre motivation qui l’avantagerait personnellement. Il faudra néanmoins en toutes hypothèses prendre bien soin de la prouver.

Il faut souligner que lorsque l’abus sera effectivement caractérisé, la sanction consistera pour le juge en la désignation d’un mandataire ad hoc chargé d’exercer le droit vote en lieu et place de l’associé minoritaire récalcitrant (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 9 mars 1993, 91-14.685, Publié au bulletin).